Le 20 novembre dernier s’est conclu en Italie, peu remarqué par la presse internationale, un des mégaprocès historiques contre la ‘Ndrangheta. 4.744 années de prison avaient été requises.
Par Cadfael
Une multinationale structurée.
Conclusion de l’opération « Rinascita Scott », baptisée ainsi, en l’honneur d’un agent de la DEA (Drug enforcment agency) en poste en Italie qui a dédié huit ans de sa vie à combattre la ‘Ndrangheta. Le procès illustre parfaitement comment, à partir de deux villages de la province de Vibo Valentia en Calabre, un clan familial, celui des Mancuso, a pu mettre en coupe réglée un pays et essaimer à l’international. Grâce à des alliances avec d’autres clans maffieux de la région, ses activités ont vu une expansion exponentielle. Au début le trafic de drogue des Mancuso reposait sur des liens historiques avec les « révolutionnaires » des FARC (dont est issu l’actuel président colombien) et les Forces d’Autodéfense colombiennes. Aujourd’hui, selon le procureur antimafia aux commandes, Nicola Gratteri, « ils sont présents sur tous les continents et n’ont pas de couleur politique. » Ses 20,000 membres gèrent un réseau qui génère un chiffre d’affaires annuel supérieur à 50 milliards d’Euros. L’argent des activités classiques comme le trafic de drogue, l’extorsion ou le meurtre infiltre les activités économiques, l’administration et la politique. Ils sont présents dans les activités légales allant de la finance au catering et à la construction. Le Covid aura permis de retrouver leur trace dans les activités de pompes funèbres.
La ‘Ndrangheta est qualifiée « d’ultra brutale, hautement sophistiquée et diversifiée » gardant profil bas. »
Le chef de clan issu des liens du sang des Mancuso aurait été consacré « capo crimine », patron suprême, lors d’un des pèlerinages annuels à la madone de Polsi, le sanctuaire de la ‘Ndrangheta. Cette assemblée générale des « crimine », qui représentent les grosses unités régionales ou nationales, élit son président., le « capo crimine » qui en charge la « cohésion » de l’organisation. D’après les observateurs, les boss des territoires hors Calabre comme du Canada et d’Australie s’y rendraient parfois. La ‘Ndrangheta est considérée comme « l’organisation, financièrement la plus puissante d’Europe ».
Les années de chasse.
Les trois années d’instruction aboutissant au procès, qui selon la presse italienne concentrait 350 inculpés, 400 avocats, 900 témoins sont l’achèvement d’une enquête débutée en 2016 portant sur plus d’une dizaine de régions italiennes. Plus de 2500 membres du personnel des forces de sécurité ont participé à cette chasse aux cadres de la MAFIA qui a vu son point culminant dans une méga razzia nationale et internationale en décembre 2022 permettant de coffrer plusieurs centaines de cadres du système. Les hommes d’une unité des carabiniers nommée « cacciatori » ou chasseurs ont été particulièrement mis à contribution. Ces commandos héliportés hautement spécialisés dans l’infiltration, l’observation et la chasse mènent une guerre permanente au crime organisé. Une de leurs bases se trouve justement à Vibo Valencia au cœur du territoire des Mancuso.
Les femmes jugent
Trois femmes juges, ultra protégées : Brigida Cavasino, Claudia Caputo et Germana Radice ont rendu les verdicts. Il aura fallu 10 mois d’audience pour juger 338 accusés sur 400 chefs d’accusation. 58 repentis ont témoigné par vidéoconférence, dont Emanuele, le neveu du patron suprême, Luigi. Le procès de Luigi a été dissocié et se tiendra plus tard. Parmi les chefs d’accusation, on retrouve : association maffieuse, assassinat, extorsion, usure, blanchiment, détention illégale d’armes et d’explosifs, recel, trafic d’influence, recyclage d’argent, utilisation illégale de secrets d’État, trafic de drogue, abus de pouvoir. 131 accusés ont été acquittés. 207 membres de la ‘Ndrangheta, ont été condamnés. « Les MAFIAs sont partie intégrante de ce que nous sommes, ils sont le miroir de notre fonctionnement ». Depuis trente ans, le procureur antiMAFIA Gratteri vit protégé jour et nuit par des équipes d’agents hautement spécialisés qui risquent leur vie autant que lui. Il ne voit sa famille que rarement, celle-ci vivant dans un endroit tenu secret. Parmi les condamnés, on retrouve un avocat, ex- parlementaire de Forza Italia, et ex-maçon, déjà inculpé dans de nombreux procès. Il s’en est toujours sorti plus ou moins blanchi.
Il bénéficie cette fois-ci de onze ans de prison. Un lieutenant-colonel des carabiniers a pris huit ans, un agent de la section financière des carabiniers, de plus appartenant à la division antimafia a écopé de 10 ans et 6 mois. Deux parmi d’autres en poste dans la région. Un cas central est celui du patron du bar « Cin Cin » de Vibona qui a pris 20 ans. Il est qualifié par la presse de « Banca d’Italia de la ‘Ndrangheta ».
Et au Luxembourg ?
Fin juillet de cette année-ci, sur commission rogatoire internationale, deux membres présumés de la ‘Ndrangheta ont été appréhendés, un troisième s’est rendu volontairement ! Selon le site de journalisme d’investigation italien, IRPI media < https://irpimedia.irpi.eu/en-malea-investigation-ndrangheta-calabria-luxembourg/> « il existerait, par les liens du sang, une continuité des groupes mafieux entre la Calabre et Luxembourg, prenant racine dans une vingtaine de familles dont neuf sont ciblées dans une nouvelle enquête. Cela donne l’impression que c’est la jeune génération qui a pris la succession à Luxembourg des affaires de famille recevant les fonds paternels et les blanchissant. »