Yukos, une « success story » de l’époque post-soviétique et son ex-propriétaire ont été brutalement anéantis par la volonté du Kremlin. Maintenant Moscou a été condamné à indemniser.

Par Cafael

Une pépite issue du pillage de l’économie soviétique.

Yukos était le producteur de pétrole et de gaz russe. Après le démantèlement de l’URSS en 1991, le libéral Boris Eltsine, président de la Russie, a lancé un programme de privatisation qui a permis le rachat de blocs de participations dans des sociétés d’état de l’ancienne économie communiste. Dans le flou politique et juridique de l’époque, ces transferts de propriété ressemblaient à un pillage des biens d’état où tous les coups étaient permis. Les réseaux ont été efficaces, la corruption facilitant les transactions dans un univers où les lois passaient aux oubliettes. On y a vu le remplacement d’anciens gestionnaires peu compétents issus du parti communiste par de jeunes loups, apprentis capitalistes, éduqués, brillants et sans scrupules. Il s’agit des oligarques d’aujourd’hui, une caste ultra riche censée être dévouée au maître du Kremlin. Ces « années anarchiques » ont permis à Eltsine de remplir ses caisses en vue de sa réélection, avec dans son sillage un certain Poutine. L’arrivée au pouvoir de ce dernier marquera un retour vers une politique impériale.

Yukos.  

Mikhael Borisovich Khodorkovsky (surnommé MBK) un ancien cadre des Komsomolsk, brillant universitaire, a obtenu le contrôle de champs pétrolifères sibériens, qui deviendront Yukos. Ce sera entre 1996 et 2003 une des grandes réussites économiques russes. Yukos a produit jusqu’à 20 % du pétrole et du gaz russe, son actionnaire principal MBK devenant l’homme le plus riche de Russie et la 16e personne la plus riche au monde. Poutine n’a pas apprécié cet oligarque, souvent critique, qui a fondé « Open Russia » une association travaillant sur les droits civiques. MBK a été arrêté en 2003 pour fraude et évasion fiscale. Sa société a été condamnée à payer 27 milliards d’arriérés fiscaux; plus que le chiffre d’affaires des années 2003 et 2004 réunies. Yukos a été démantelée, ses actifs vendus aux enchères à bas prix à une société-écran créée 48 heures auparavant et appartenant de fait à Rosneft, une société d’État. On notera que selon « Delano » de mars 2022, les sanctions de l’Union européenne étant censées avoir pris effet, Rosneft gérait 31 sociétés actives au Luxembourg. Yukos a été mise en faillite et liquidée en 2007, son patron condamné en 2005 à neuf années de prison, ses avoirs à l’étranger en partie gelés sur demande de Moscou : un avertissement à ceux qui auraient été tentés de prendre des libertés. En 2010, MBK et son associé ont été jugés à nouveau pour détournement et blanchiment. Khodorkovsky a vu sa peine rallongée jusqu’en 2014. Sur intervention de Hans Dietrich Genscher, alors ministre des Affaires étrangères de RFA, Poutine l’a gracié en décembre 2013. Son associé Lebedev a été libéré en janvier 2014 suite à une réduction de peine de 3 ans et 4 mois. MBK est parti en exil en Suisse et ensuite à Londres, sa fortune de l’époque étant estimée à une centaine de millions.

Le procès.

Dès 2004 débuteront diverses procédures juridiques complexes devant les tribunaux et cours d’arbitrage internationales. S’étirant sur une période de dix ans, la plus importante est celle de Yukos Capital avec siège à Luxembourg, représentant les actionnaires de Yukos au moment de la liquidation de la société en 2007. Elle inclut 55.000 actionnaires minoritaires, certains représentant des fonds. En 2013 Yukos dépose une plainte pour expropriation et violation des principes de traitement juste et équitable contre la Fédération de Russie via Rosneft, le géant pétrolier russe. Mardi dernier la Cour d’appel de La Haye a fait capoter le dernier appel de l’état russe en donnant raison à Yukos. De ce fait, la décision de la cour d’arbitrage de La Haye de 2014 prend force lois. Elle condamne la Fédération russe à verser 50 milliards de dollars d’indemnités aux actionnaires et à MBK. A l’époque la cour d’arbitrage avait conclu que Moscou avait pris le contrôle de Yukos en 2003 en étranglant la société avec des sanctions fiscales massives dans le but de réduire au silence son CEO, le critique le plus célèbre de Poutine à l’époque. Selon la presse néerlandaise, les anciens actionnaires afin d’obtenir satisfaction financière, vont faire saisir des avoirs de l’état russe aux Pays-Bas, en Angleterre, aux États-Unis et ailleurs si nécessaire. Ce mardi 27 février, Oleg Orlov, 70 ans, dernière grande figure de la dissidence et de la défense des droits civiques en Russie après l’assassinat de Navalny a été condamné à deux ans et demi de prison dans une colonie pénitentiaire par un tribunal de Moscou, déblayant ainsi la voie à Poutine avant les élections de la mi-mars. MBK vit en exil a Londres et a repris diverses activités internationales dans le domaine des droits civiques.  Son avenir en Russie ne semble pas terminé.