Texte par Cadfael
Ce dimanche le Portugal a voté afin d’élire son président de la République pour les prochaines cinq années. Sans surprise l’actuel détenteur du mandat Marcelo Rebelo Sousa été réélu avec 60.7% des voix.
Chronique d’une mort annoncée
La candidate de gauche s’en est sorti avec 12.9 %. Il y cinq ans les partis composants la coalition de bric et de broc au pouvoir, à savoir un parti socialiste plutôt bourgeois et conservateur, des écologistes sans doctrine précise, des trotskistes mendéliens et le Parti communiste portugais obtenait 41.19 % des votes contre 21.65 % aujourd’hui. Un échec flagrant pointant vers une fin de règne ? A Luxembourg 800 personnes ont voté à l’ambassade du Portugal. D’après la chaine de télévision SIC ces votes n’ont pas été comptabilisés suite à une « erreur bureaucratique ».
Marcelo président !
Ce personnage politique hors normes dans le paysage européen a su développer lors de son premier mandat, une position de clef de voute du système politique portugais. Membre du parti social-démocrate (PSD), il a suspendu cette appartenance pour la durée de son mandat afin, selon lui, de garantir une impartialité lui permettant les arbitrages que sa fonction autorise.
Chouchou des Portugais de tous âges, cet hyperactif, journaliste, prof d’université, spécialiste de droit constitutionnel et administratif, est surtout un fin connaisseur des réseaux économiques et politiques lusitaniens. Se voulant proche du peuple, travaillant l’empathie, il est sur le terrain et capte les audiences TV sur des fronts que le parti socialiste délaisse : lutte contre la faim, les sans domicile fixe, les personnes âgées dans des logements sans chauffage en hiver, le soutien aux victimes des grands incendies de 2017.
L’émergence d’un néo présidentialisme ?
Issu de la grande bourgeoisie, il est depuis sa naissance confronté aux courants politiques du pays, de la dictature en passant par les années chaotiques de la révolution. Son père, professeur de médecine et un des derniers ministres des relations avec l’outremer de l’ancien régime, avant la révolution « rouge de 1974 », s’est exilé au Brésil.
Très à l’aise dans jeux de pouvoir entre les grandes familles et les néo-pouvoirs économiques et financiers, il se voit surtout en gardien de la constitution et du respect de la démocratie parlementaire. Proche de l’Église catholique, il est perçu comme l’empêcheur de tourner en rond de l’actuelle majorité politique et de son chef, le Premier ministre socialiste, un tacticien redoutable. Malgré cela il s’est développé une connivence de fait entre les deux hommes dans la lutte contre la Covid ce qui n’empêche pas une opposition claire du président sur les « dérapages » de la gauche gouvernante. Il mène une opposition politique tout en subtilité selon le site de recherche de droit constitutionnel « presidential-power net » avec les outils que la constitution met à sa disposition : promulguer ou mettre un veto sur une loi ou un décret-loi venant du gouvernement.
Cet outil politique couplé à la popularité et à l’autorité morale du président dans une ambiance politique délétère redéfinit le périmètre de l’action du gouvernement. En mars dernier, le président a demandé au parlement de gauche de voter l’état d’urgence face au Covid, la première fois dans l’histoire de l’après-révolution démocratique du pays.
Une montée en puissance de l’extrême droite
Les élections soulignent surtout le nouvel ancrage d’une extrême droite avec un candidat placé troisième position (11.9% des voix). Sans vision idéologique construite, elle surfe sur les grands thèmes de l’insatisfaction, terreau des populistes européens : ambiance économique difficile et insatisfaction latente dans un pays dans lequel, selon les chiffres de Eurostat, la productivité se situe dans le bas du panier de la moyenne européenne.
La COVID fait des dégâts, amplifiés par un investissement public en chute depuis 20 ans et négatif depuis 2015. Cela se ressent dans les infrastructures publiques, hôpitaux et services d’urgence, écoles, chemins de fer, services de sécurité, salaires des médecins, enseignants, etc… et sur une fuite des cerveaux importante vers des cieux plus cléments. L’actuel gouvernement n’est pas à la hauteur des espoirs suscités et des promesses faites. Dans ce jeu, le parti démocrate-chrétien (PSD) n’est guère mieux loti que la gauche avec ses divisions internes et l’actuel leader qui prône l’alliance avec l’extrême droite.
De riches amis
Il y a cinq ans l’extrême droite xénophobe n’existait pas au Portugal à part quelques groupuscules négligeables. La question du financement de ce parti est souvent évoquée dans la presse. Même si ce parti n’a pas une réelle assise militante, il dispose d’un appareil de façade opportuniste permettant la chasse aux voix.
Selon divers hebdomadaires et quotidiens portugais, s’y retrouvent pêle-mêle des entrepreneurs, des vendeurs d’armes, des fondations opaques et des survivants du salazarisme. Et bien sûr l’inévitable Marine le Pen qui est venue à Lisbonne soutenir le candidat. Le Portugal est un pays avec une grande culture qui mérite mieux que ce qu’il vit actuellement. Le président constitue pour beaucoup une sorte de père et un espoir que ni l’église ni les partis ne réussissent à offrir.