Texte par Fabien Grasser

La désignation de Christianne Wickler à la présidence du conseil d’administration de Cargolux a déclenché une double polémique. L’opposition estime qu’elle a bénéficié d’une faveur du ministre de la Mobilité, François Bausch. Et reproche surtout à la femme d’affaires son implication dans la plateforme « Expressis Verbis » qui conteste la gestion de la crise sanitaire et la gravité de la pandémie. 

Christianne Wickler est l’une des femmes d’affaires les plus médiatisées au Luxembourg. Ce 28 avril, la fondatrice et dirigeante de la chaîne de supermarchés et épiceries Pall Center franchissait une nouvelle étape dans sa carrière en décrochant la présidence du conseil d’administration de Cargolux. Chritianne Wickler succède ainsi à Paul Helminger, décédé le 17 avril dernier. Tout comme l’ancien élu libéral, elle représentera également les intérêts de l’Etat luxembourgeois qui détient 8,32% des parts de la société. Cargolux, qui emploie 1.600 personnes, est la quatrième compagnie de fret aérien au monde et la première en Europe. 

Mais Christianne Wickler n’aura pas vraiment eu le temps de savourer sa promotion. A peine connue, sa nomination a déclenché les foudres de l’opposition qui met en doute ses compétences, voyant dans sa désignation une manœuvre politique du ministre écologiste de la Mobilité. François Bausch est suspecté d’avoir « placé » à ce poste important une membre de son parti. En 2013, Christianne Wickler avait été élue députée sur la liste déi gréng dans le Nord mais elle avait abandonné son mandat au bout de seulement six mois, préférant se consacrer pleinement à la direction de Pall Center. 

François Bausch défend la nomination

François Bausch conteste le procès en incompétence, rappelant que les actionnaires, y compris le chinois HNCA, avaient délibéré à l’unanimité en faveur de Christianne Wickler dont il loue par ailleurs « le dynamisme » et « la grande expérience économique ». Le ministre précise également qu’il a d’abord proposé le poste l’ancien ministre des Transports Claude Wiseler qui a décliné alors qu’il vient de prendre la présidence du parti chrétien-social. Quant à l’intéressée, elle se défend en avançant ses parfaites connaissances de la chaîne logistique et de la gestion des flux qu’elle a acquises à la tête de son groupe de grande distribution et qui constituent le coeur de métier de Cargolux. 

Mais une fois ces premiers vents contraires balayés, elle doit faire face à de nouvelles turbulences pour son implication dans « Expressis Verbis ». Sur son site internet, cette association conteste régulièrement la gestion de la crise sanitaire et la gravité de la pandémie. Le directeur de la Santé, Jean-Claude Schmitt, a été l’un des premiers à réagir, estimant que la nomination de Christianne Wickler rend « présentable la scène conspirationniste ».

L’opposition demande la révocation

Comment le gouvernement peut-il approuver la désignation à la présidence de Cargolux d’une personne mettant en cause sa politique sanitaire, s’interroge aussi l’opposition ? Le CSV, Déi Lénk et le Piratepartei ont de ce fait déposé mardi une motion demandant au gouvernement de révoqué Christianne Wickler, un texte qui n’a au demeurant aucune chance d’aboutir au vu des équilibres au parlement. Selon eux, la patronne de Pall Center « conteste, de manière générale, les mesures gouvernementales d’endiguement de la pandémie et nie en quelque sorte le bilan mortifère de la pandémie de Covid-19, les moments critiques auxquels ont dû faire face les établissements hospitaliers.» Dans ces conditions, ils posent la question de la confiance : « Au vu de tout ce qui précède, on peut réellement douter de la capacité de jugement de la femme nommée au poste d’administrateur et de sa volonté d’exécuter les instructions gouvernementales », affirme la motion. 

Face à ces nouvelles accusations, Christianne Wickler a annoncé qu’elle se retirait d’« Expressis Verbis » dont elle dément par ailleurs les visées complotistes. Plus gêné, François Bausch reconnaît avoir découvert la plateforme à cette occasion. Il estime qu’il ne s’agit pas d’un site « complotiste », quand bien même son contenu est « discutable ». Le ministre a néanmoins répété que la nomination de Christianne Wickler était justifiée. Egalement interpellée sur le sujet la ministre de la Santé, Paulette Lehnert, demande de ne pas « tout mélanger », jugeant qu’il s’agit de déclarations privées et que « ce qui compte, c’est sa compétence pour le job ». 

Profits records grâce à la pandémie

Interrogé ce mercredi en marge de la conférence de presse au cours de laquelle il a annoncé des allègements des restrictions sanitaires, le Premier ministre a également relevé les compétences professionnelles de Christianne Wickler et a plaidé la liberté d’expression d’une personne qui « dit ce qu’elle pense ». « Dans une démocratie, on a le droit d’avoir son avis. Je ne demande pas que les gens soient à 100% d’accord avec notre politique », a conclu Xavier Bettel.

Ironie du sort, alors que la polémique porte sur la gravité de la pandémie, Christianne Wickler prend les rênes de Cargolux à un moment où la compagnie aérienne voit ses profits dopés par cette même pandémie. Avec un bénéfice net de 769 millions de dollars, la compagnie a réalisé en 2020 les meilleurs résultats de son histoire. « Nous avons connu une demande sans précédent pour le transport d’équipement de protection individuelle (masques, blouses, ndlr) et pour d’autres produits qui en sont venus à dépendre du transport aérien pour maintenir intactes les lignes logistiques », explique Cargolux dans un communiqué diffusé le 28 avril. Soit le jour même de la nomination de Christianne Wickler. 

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