Texte par Fabien Grasser

Des organisations de la société civile demande au gouvernement une loi sur le devoir de vigilance des entreprises. Il s’agit de responsabiliser juridiquement les multinationales sur les atteintes aux droits humains et à l’environnement dans leurs activités. Les ministres des Affaires étrangères et de l’Economie refusent de légiférer sur le plan national et s’en remettent à l’adoption d’une future directive européenne qui n’entrera pas en vigueur avant plusieurs années.   

Il en va du respect des droits humains par les entreprises comme de la fiscalité : le Luxembourg ne fera pas cavalier seul en Europe. Il attendra que l’Union européenne adopte une directive sur le devoir de vigilance des entreprises avant de la transposer dans son droit national. C’est ce qu’ont signifié, mardi 20 avril, les ministres des Affaires étrangères et de l’Economie, interpellés sur le sujet par des parlementaires écolos. « Cette approche multilatérale coordonnée a l’avantage de créer une cohérence des politiques internationales, s’appliquant de la même manière aux entreprises partout dans l’Union européenne, et d’éviter ainsi la création d’une mosaïque de législations nationales disparates », avancent Jean Asselborn et Franz Fayot. Les deux ministres disent leur attachement à une loi dont l’adoption est, selon eux, retardée par les atermoiement européens… 

L’affirmation fera sûrement grincer des dents les connaisseurs du dossier. A commencer par l’Initiative pour un devoir de vigilance, une coalition de 17 ONG fondée en mars 2018 pour exiger du gouvernement qu’il mette les entreprises face à leurs responsabilités en matière de droits humains et d’environnement. Elles demandent l’adoption d’une législation qui obligera les multinationales ayant leur siège au Luxembourg à analyser les risques de leurs activités pour les droits humains, d’y remédier lorsque des violations sont commises et d’indemniser les victimes sur l’ensemble de leur chaîne de valeur. Leur responsabilité sera ainsi engagée sur leurs activités propres mais aussi sur celles de leurs sous-traitants dans l’ensemble des pays où elles opèrent.

Un coût marginal pour les entreprises

Mais en trois ans, ces revendications sont restées lettre morte malgré des contacts répétés avec le ministère des Affaires étrangères qui traite le dossier. Une étude a été commandée auprès de l’université de Luxembourg, mais ses conclusions, attendues en novembre 2020, n’ont toujours pas été publiées. 

L’argument de la nécessaire « cohérence des politiques nternationales » avancé par Jean Asselborn et Franz Fayot est par ailleurs contredit par l’exemple français, l’Hexagone ayant adopté une loi sur le devoir de vigilance des entreprises en 2017. Si la France est à ce jour le seul pays au monde à avoir légiférer en la matière, le gouvernement allemand a déposé en mars un projet de loi identique.

Au Grand-Duché, le sujet n’est pas anodin car le pays héberge les sièges européens ou mondiaux de centaines de multinationales, quand bien même la présence de certaines d’entre-elles se limite à une simple boîte aux lettres. L’UEL, la principale organisation patronale, s’oppose ainsi à un texte contraignant et privilégie l’engagement volontaire des entreprises en faveur du respect des droits humains. Le patronat estime encore qu’en l’absence d’un accord européen, l’adoption d’une loi par le Luxembourg nuirait à la compétitivité du pays. Une étude de la Commission européenne montre pourtant que la mise en place de telles procédures se traduirait par un surcoût négligeable de 0,011% du chiffre d’affaires des entreprises.

Des réalités désastreuses

Face à ces blocages, l’Initiative pour un devoir de vigilance multiplie depuis trois ans les manifestations et rendez-vous médiatiques pour sensibiliser le public à la question. En décembre, le collectif avait publié les résultats d’un sondage montrant que 92% de la population est en faveur d’une législation contraignante pour les entreprises.  

En octobre, l’ONG Action solidarité tiers monde (ASTM) publiait également un rapport dans lequel elle illustrait concrètement les atteintes aux droits humain commises par des sociétés luxembourgeoises. Techent, un sidérurgiste italo-argentin dont le siège mondial est domicilié à Luxembourg, y est épinglé pour les conditions de travail exécrables, l’absence de couverture sociale et la répression des syndicalistes dans ses usines en Colombie et au Guatemala. Plus connue, NSO Group est une société israélienne présente au Grand-Duché à travers quatre filiales. Elle est spécialisée dans la conception de logiciels permettant d’espionner les téléphones portables via l’application WhatsApp. Grâce à cette technologie, des gouvernements et entreprises ont surveillé des militants des droits humains, des journalistes, des opposants politiques et des parlementaires. NSO Group a fait la une des médias après sa mise en cause dans la mort de Jamal Khashoggi, journaliste et opposant saoudien assassiné en octobre 2018 en Turquie. 

La problématique ne se limite donc pas à un débat juridique abstrait : elle cache des réalités aussi concrètes que désastreuses.

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