La marque de lingerie américaine ne fera plus défiler ses célèbres « anges » : L Brands, sa société-mère, a annoncé la semaine dernière par communiqué, que son défilé était annulé. En cause ? Quelques scandales mal venus, une communication passablement mauvaise et un concept qui s’essouffle franchement.

Silhouettes exagérément minces, chevelure scintillante, sourire ultra bright, sous-vêtements à quelques millions de dollars et ailes de plusieurs kilos plaquées dans le dos, en pleine vague féministe et dans un contexte post-MeToo, les « Anges » de Victoria’s Secret ne semblent plus faire rêver grande monde, tant elles paraissent anachroniques. Autant que les prises de position de la marque face aux nombreux scandales qui égratignent son image ? Il faut croire. Entre propos transphobes de la part de son directeur marketing et culte de la minceur, voire de la femme-objet, Victoria’s Secret ne parvient plus à séduire son public.

« Elles ne faisaient pas partie du rêve projeté par la marque »

Lancés en 1995, les célèbres défilés Victoria’s Secret ont largement contribué à son rayonnement international. Castant les plus belles femmes de la planète, de Gisèle Bündchen à Tyra Banks en passant par Heidi Klum et plus récemment, Gigi Hadid et Kendall Jenner, les années ont vu se succéder une team de filles superbes, à la plastique irréelle, foulant les podiums de ce défilé aux allures de véritables show, rameutant au passage plus de 9 millions de spectateurs américains lors de l’édition 2014. Pourtant, dès décembre 2018, ils n’étaient plus que 3,3 millions à suivre l’évènement.

En cause notamment, un concept qui s’essouffle au moment où les canons de beauté traditionnels se voient remis en cause. Le sempiternel 60-90-60 mis à mal, la marque peine alors à se réinventer face à l’offre grandissante de labels de lingerie bien plus inclusifs et en accord avec le body positivisme qui grandit sur les réseaux. En décalage totale avec cette demande de diversité, Victoria’s Secret voit ses chiffres trimestriels chuter, enregistrant cette année une perte nette de 252 millions de dollars. Et les différentes sorties de son directeur marketing, Ed Razek sur l’impossibilité d’inclure des mannequins transgenres ou plus-size sur le défilé, car « elles ne faisaient pas partie du rêve projeté par la marque », n’ont certainement pas aidé à redorer une image déjà ternie.

Bad buzz et accusation de viols

Au-delà de contribuer à répandre une vision des femmes réductrice et de promouvoir des standards corporels contraignants et inatteignables, Victoria’s Secret est également visé par l’affaire Epstein. Cet été, le New-York Times publie une longue enquête sur Jeffrey Epstein, financier américain, accusé de pédophilie, de viols et d’agressions sexuelles sur mineurs et proche de Leslie Wexner, patron de L Brand, dont il a été le conseiller financier durant une quinzaine d’année. Cette proximité aurait permis à Epstein de se faire passer pour un recruteur de la marque de lingerie et ainsi d’approcher des jeunes femmes, pour les séquestrer sur son île privée.

Et même si Leslie Wexner clame n’avoir rien su de ces agissements, les témoignages s’accumulent. Au point que le collectif Model Alliance, fondé par Sara Ziff qui vise à aider et soutenir les modèles, a publié une lettre ouverte à l’attention de John Mehas, actuel CEO de Victoria’s Secret. Avec 100 autres mannequins, dont les influentes Coco Rocha, Doutzen Kroes et Milla Jovovich, elles appellent la marque à prendre des mesures concrètes pour protéger ses talents et ceux qui aspirent à travailler avec la société : « Nous écrivons aujourd’hui pour exprimer notre préoccupation pour la sécurité et le bien-être des modèles et des jeunes femmes qui aspirent à devenir des modèles pour Victoria’s Secret. Bien que ces allégations ne concernent peut-être par directement Victoria’s Secret, il est clair que votre entreprise a un rôle crucial à jouer pour remédier à la situation. ».

Définitivement, cette annulation intervient à un moment où l’industrie de la mode commence doucement à prendre en compte la parole des femmes et à faire évoluer ses diktats. Et même si les podiums manquent encore cruellement de diversité et d’inclusivité, de nombreux labels célèbrent des corps différents, non-retouchés. De fait, il semble difficile pour Victoria’s Secret dont le crédo initial est d’imposer un fantasme – aujourd’hui dépassé – de faire encore rêver qui que ce soit.

 

Texte : Helena Coupette