Par Fabien Rodrigues

Avec le contexte géopolitique mondial actuel, il est facile de laisser les problématiques écologiques, moins visibles car visuellement moins violentes, dans un coin de notre cerveau. En atteste, peut-être, la déconvenue du parti vert luxembourgeois aux dernières élections législatives. Pourtant, la régulation des émissions de carbone est plus que jamais impérieuse, et l’une de ses sources bien connues, les voyages, pourrait bien être un secteur phare pour mener le train de la décarbonation à destination…

Fin octobre avait lieu la 12e édition du Luxembourg Sustainability Forum (LSF), organisé par IMS Luxembourg. Son axe thématique principal en était « Behind The Scenes – Acting for Real Change », s’intéressant ainsi à ce qu’il se passe en matière de responsabilité, de durabilité et d’efforts à faire « dans les coulisses » de certains grands secteurs d’activité… Parmi ces derniers, le tourisme, bien évidemment, qui semble avoir repris de plus belle une fois les contingences pandémiques du Covid-19 – vite – oubliées.  « Le tourisme est un émetteur important de gaz à effets de serre, en particulier le trafic aérien. La tendance actuelle est de 4% de vol long-courrier, ce qui représente 40% des émissions totales pour le secteur du tourisme. Nous avons besoin de ralentir cette croissance, voire d’avoir une décroissance en ce qui concerne ce trafic, de manière à limiter les émissions de gaz à effet de serre », a ainsi déclaré Ben Lynam, directeur de la communication de The Travel Foundation – un institut indépendant anglais spécialisé dans l’étude des potentiels touristiques – lors du panel dédié le 26 octobre dernier.

Agir dès que possible

Est-il possible de s’orienter vers une dynamique plus « slow-travel », un peu comme avec le mouvement « slow-food » apparu il y a une quinzaine d’années dans la gastronomie, et ainsi voyager de manière plus responsable dès l’année prochaine ? C’est un pari possible, mais qui rencontre encore beaucoup d’obstacles selon les experts présents au LSF ; M. Lynam ne se fait d‘ailleurs pas d’idées pour le moment : il faut assumer la croissance évidente du nombre de voyageurs, tout en ayant comme objectif sérieux de ne pas la faire rimer avec la croissance des émissions subséquentes : « Bien sûr, c’est entre autres sur l’aviation qu’il faudrait travailler en priorité, mais c’est un des secteurs les plus difficiles à décarboner », déplore-t-il à ce sujet. La seule « mesure » serait en effet de faire appel à du fuel durable, qui existe, mais ne concernerait, selon le spécialiste du tourisme, que 0,1% des voyages pour le moment, et ce sur des jets. L’autre voie à stimuler semble évidente : l’électrique et l’hydrogène, mais ce n’est pas pour tout de suite… Pour les avions certes, mais pas pour les structures d’accueil touristiques, qui tendent de plus en plus à fonctionner grâce aux énergies renouvelables et qui peuvent être évidemment privilégiées par les voyageurs lors de l’organisation d’un séjour.

Moins loin, mais mieux

Lors d’un sondage effectué en temps réel pendant le panel en question, trois notions clés se sont démarquées lorsque le public s’est vu demander quels engagements seraient envisageables pour participer à un tourisme plus durable : le train, le vélo et rester en Europe. Ce qui a enthousiasmé Peigi Rodan, Sustainability Manager auprès de la plateforme de tourisme local et durable Withlocals… Selon elle, un des grands problèmes du tourisme actuel, outre son bilan carbone estimé à 8% des émissions totales de gaz à effet de serre, est le « tourism leakage », c’est-à-dire le fait que l’argent dépensé par les touristes ne reste pas dans l’économie locale. « Dans certaines régions du monde, la part d’argent sortant immédiatement de l’économie locale est colossale, comme dans les Caraïbes ou en Thaïlande, où elle est estimée à 70 à 80 pourcents », précise celle qui croit fermement dans une approche plus holistique du voyage.

Une de clés pour parer, au niveau de chacun, à cette injustice sociale est de privilégier les organisations locales, ou celles interagissant directement avec les acteurs économiques locaux. Trouver ces circuits plus vertueux est d’ailleurs la spécialité de Withlocals. « Je comprends qu’aujourd’hui, on puisse être sensible aux prix, mais je pense qu’il faut être prêt à voyager moins, mieux et à payer un peu plus pour ce faire. Le surtourisme est nocif et générateur d’incivilités grandissantes, qui ont un impact négatif direct sur l’environnement », précise Peigi Rodan. Mais on trouve là l’une des autres « impasses » du tourisme responsable, facilement compréhensible par l’exemple : un site historique ou autre a besoin des touristes pour pouvoir collecter les fonds nécessaires à son entretien, malgré le fait qu’un flux de touristes plus important – mais engrangeant plus de recettes donc – soit potentiellement néfaste à l’état même du site… C’est le serpent qui se mord la queue. Il est donc compliqué, voire parfois impossible, de trouver le juste équilibre.

La jeune femme propose tout de même une première idée simple pour décarboner ses voyages : arrêter tout d’abord tout ce qui relève du transport comme activité en tant que telle : survols en hélicoptère, balades en quads ou en buggy, virées en jet skis ou en voitures de collection…

Changer la narration du voyage

La clé serait-elle donc de changer les notions de voyage et de tourisme à leur source, dans leur image collective comme leur conceptualisation par chacun ? C’est en tout cas l’avis de Felipe Koch, sociologue de l’imaginaire, qui se décrit lui-même comme un ancien « collectionneur de destinations » repenti. Selon lui, il faut arrêter de voir son passeport comme une collection de bons points gagnants à chaque nouveau tampon et amener plus de sens à la notion de voyage : se reconnecter avec l’espace et le temps, la manière dont on utilise ce temps et la chance de pouvoir en profiter dans un espace donné.

Avant de choisir la bonne destination et les bons acteurs, repenser sa vision du tourisme et lui redonner un véritable sens, un objectif vertueux, est nécessaire selon M. Koch. Penser avant d’agir donc, une évidence pour beaucoup, mais qu’il apparait urgent de rappeler pour les spécialistes du tourisme responsable : Ben Lynam a ainsi tenu à rappeler l’effet des émissions de carbone sur le climat et a pris pour exemple les températures caniculaires, devenues un vrai frein au tourisme au final, dans le bassin méditerranéen l’été dernier. Quant à Charlènes Descollonges, ingénieure hydrologue, qui est intervenue tout au long du LSF pour mettre en lumière nos impacts et dépendances à l’eau sur tous les aspects économiques de notre vie, elle s’est focalisée sur la différence qu’il peut y avoir en matière d’accès à l’eau potable en fonction des régions du monde et des écosystèmes, rappelant que les îles – destinations touristiques par excellence – font clairement partie des milieux les plus défavorisés en la matière…

Au Luxembourg aussi

Voyager mieux à l’étranger c’est bien, mais il ne faut pas pour autant en oublier le Grand-Duché comme destination touristique. Le local, ça commence par le nôtre ! Après une pandémie qui a poussé les gens à (re)découvrir le pays dans la mouvance « Vakanz doheem », le ministère du Tourisme n’a pas lâché l’affaire et a continué à stimuler le sex appeal touristique du Luxembourg. Ainsi, au printemps 2022, le ministre Lex Delles avait alors réaffirmé les ambitions de son ministère en dévoilant la nouvelle stratégie touristique luxembourgeoise. Au sein de celle-ci, certains objectifs liés à la responsabilité : « Améliorer la qualité de vie : le tourisme créera une valeur ajoutée tangible pour les résidents, les frontaliers et les touristes » par exemple, ou encore  « Renforcer l’économie: grâce à des acteurs professionnels et des entreprises performantes, le tourisme en tant que secteur économique sera soutenu et renforcé », pour lesquels des champs d’action centraux sont également définis, tels que « Une qualité de séjour durable et accessible pour tous: les dimensions écologique, économique, sociale et culturelle de la durabilité sont prises en compte dans l’offre touristique » et « Une collaboration de confiance et des réseaux forts: le but est de mettre en place une étroite coopération entre les acteurs du secteur du tourisme, afin d’encourager un échange constructif tout en impliquant la population »…

Selon l’entité Visit Luxembourg, qui organisait elle aussi son forum en mai dernier, « le thème de la durabilité est devenu une partie intégrante du tourisme et fait de plus en plus partie des décisions de voyage individuelles, mais aussi du marketing de la destination et de la gestion de la destination en dans son ensemble ». Et on peut se rendre compte de cette volonté d’un tourisme local toujours plus durable grâce au renforcement progressif, mais certain de l’EcoLabel (www.ecolabel.lu), qui a pour objectif de promouvoir et de développer le tourisme durable au Luxembourg – et qui est aujourd’hui mis en avant par une petite cinquantaine d’établissements au Grand-Duché ; ou encore de certifications internationales à la réputation éprouvée comme B Corp, pour Benefit Corporation, mouvement lancé en 2006, actif dans plus de 80 pays et pour lequel IMS Luxembourg est le point de contact national. Il reste encore un sacré bout de chemin à faire, mais voyager avec moins de carbone et plus de sens dès 2024, c’est possible !