Texte par Fabien Grasser

OpenLux, une enquête menée par des médias européens, accuse la place financière de favoriser l’évasion fiscale et le blanchiment d’argent criminel. Le gouvernement luxembourgeois a réagi par une communication bien préparée pour défendre la réputation du pays à nouveau qualifié de « paradis fiscal ». 

Le gouvernement luxembourgeois a catégoriquement « réfuté » les conclusions d’OpenLux avant même la publication des premiers articles, ce lundi 8 février. L’enquête menée par dix-sept médias accuse le Grand-Duché de favoriser l’évasion fiscale d’entreprises et de grandes fortunes. Avec la circonstance aggravante de blanchir également de l’argent criminel. Le sujet a dominé l’actualité de la semaine mais, contrairement aux LuxLeaks, il y a six ans, les autorités y étaient préparées. L’on n’a donc pas assisté, cette fois, à une conférence de presse improvisée par des ministres aux mines abattues, comme en 2014.

La ministre de la Justice Sam Tanson a reconnu que le gouvernement était alerté depuis plusieurs semaines par des questions de journalistes, laissant présager une nouvelle tempête pour la place financière et la réputation du pays. Le sujet est d’autant plus sensible que, déjà criantes, les inégalités ont explosé depuis le début de la pandémie de Covid-19, mettant notamment en perspective le manque de moyen des systèmes de santé publique.

Aussi, dans la nuit de dimanche à lundi, le gouvernement a mis en ligne le site openlux.lu, s’accaparant le nom de l’enquête. Il y est notamment écrit que les journalistes avancent « un certain nombre d’affirmations non fondées concernant l’économie luxembourgeoise et la place financière ».

Shakira, Brad Pitt, Tiger Woods…

Pendant un an, des journaux tels Le Monde en France ou Le soir en Belgique, mais aussi Woxx au Luxembourg, ont passé au crible 3,3 millions de documents issus de plus de 140.000 sociétés. Un gros tiers de ces sociétés sont des holdings financières sans activité réelle au Grand-Duché, créées dans le seul but d’échapper aux impôts. Elles appartiennent tant à des peoples comme Shakira, Tiger Woods ou Brad Pitt qu’à des multinationales du monde entier. Mais la majorité de ces « coquilles vides » sont contrôlées par des Français parmi lesquels les plus grandes fortunes de l’Hexagone.

Le premier axe de défense du gouvernement porte sur la transparence. Les informations collectées par les médias sont issues du Registre du commerce et des sociétés (RCS) et du Registre des bénéficiaires effectifs (RBE) dont les données ont été croisées à l’aide d’ordinateurs. Ces registres sont publics et leur accès gratuit, ce qui n’est pas le cas dans d’autres pays de l’UE. Les journalistes ayant participé à OpenLux le saluent d’ailleurs et reconnaissent que, sans cela, leur travail aurait été impossible. Mais cette transparence dans la forme ne vaut pas nécessairement blanc-seing sur le fond quand l’enquête divulgue, par exemple, le blanchiment d’argent de la ‘Ndrangheta, la redoutable mafia calabraise du sud de l’Italie. Face à ces révélations embarrassantes, la ministre de la Justice promet un renforcement des contrôles.

Gouvernement et professionnels de la place financière insistent aussi sur la conformité du droit luxembourgeois avec les règles de l’OCDE et de l’UE destinées à lutter contre l’évasion fiscale, le blanchiment et le financement du terrorisme. Mais là encore, la forme ne rejoint pas toujours le fond. Tous les ans, le Conseil européen publie un rapport pour chaque Etat membre de l’UE, communément appelé « Semestre européen ». Et d’année en année, les recommandations en direction du Luxembourg ne varient pas : le pays est étrillé pour ses « « pratiques » favorisant « la planification fiscale agressive ». En 2020, le rapport mettait en outre l’accent sur le risque accru de blanchiment de capitaux. Le Conseil motive ses remarques à partir des chiffres fournis par le Luxembourg à Eurostat, l’institut statistique européen.

Voix discordante dans l’opposition

Dans un rapport paru en janvier, la Cour des comptes européenne pointe cet écart entre les législations adoptées par les Ving-Sept et leur application réelle. Bien que ne visant pas spécifiquement le Luxembourg, les auditeurs européens constatent que l’échange d’informations entre administrations fiscales au sein de l’UE « laisse à désirer ». Il s’agit pourtant d’un instrument phare dans la lutte contre l’évasion fiscale.

Tout au long de la semaine, le gouvernement a pu compter sur le soutien résolu d’une large part du champ politique pour défendre la réputation de la place financière. « Le Luxembourg a fait ses devoirs », a ainsi plaidé le député CSV Laurent Mosar. Seul le député Déi Lénk David Wagner a fustigé ces pratiques, faisant primer la morale et l’éthique sur leur supposée légalité.

Dans cet exercice de communication de crise, les autorités ont aussi pointé la « main de l’étranger » derrière OpenLux. « Le succès du Luxembourg dérange », a ainsi affirmé Nicolas Mackel, CEO de Luxembourg for finance (LFF), l’organisme de promotion du centre financier à l’étranger. Mardi, à la Chambre des députés, le ministre des Finances, Pierre Gramegna, a défendu le rôle du Luxembourg comme « champion européen de la finance » : « Pourquoi Paris ou Berlin seraient-ils les seuls à revendiquer ce titre ? », a-t-il lancé, sous-entendant ainsi une manoeuvre de la France et de l’Allemagne. Comme si des journalistes ne pouvaient pas simplement faire leur travail en toute indépendance.

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