Texte par Cadfaël

Le blocage du budget de l’Union européenne ne cacherait-il pas autre chose que simplement une affaire de respect des principes démocratiques et des valeurs fondamentales par des pays membres géostratégiquement localisés dans les Balkan, traditionnelle zone d’influences les plus diverses.

La disparition de l’ami républicain

La victoire du parti démocrate et de Joe Biden et Kamala Harris marque la fin de quatre années de gestion républicaine chaotique et de descente aux enfers de la puissante nation. 

Trump quittera la Maison Blanche en emmenant avec lui courtisans, inféodés et autres perdants. La transition ne s’annonce pas facile. Le futur ancien locataire et de larges pans du parti républicain trainent des pieds en matière de transition. L’œuvre de démolition de Trump continue. Ne vient-il pas de dénoncer ce 22 novembre le traité « open skies », qui lie 34 nations en leur permettant, sous préavis de 72 heures, des vols de reconnaissance au-dessus des territoires des co-signataires ? Notre pays est co-signataire d’un traité qui est une pièce importante dans l’arsenal diplomatique destiné à renforcer la confiance en Europe.

L’ami serbe

Les amis européens vont regretter le règne de Trump et de ses « deals ». En premier lieu, le président serbe Vucic qui a déjà fait entendre que sa relation avec Biden grinçait à l’époque où celui-ci était encore le vice-président d’Obama, et qu’aujourd’hui cette situation ne s’était pas améliorée. « Je l’ai congratulé et c’est tout ».

En clair pour la Serbie, l’option numéro un en matière d’affaires étrangères demeure la Russie de Poutine. Il est soutenu par de larges pans pro-russes de la société serbe. À en croire des sources fiables, certains groupes de suprématistes blancs américains adoreraient actuellement l’hospitalité serbe. Pour mémoire : la Serbie est en négociation avec l’Union européenne pour devenir membre, ce qui pourrait se faire à l’horizon de l’année 2026. Actuellement elle reçoit de la part de Bruxelles une aide au développement dans le cadre de l’ « instrument d’assistance à la préaccession » de l’ordre de 2.9 milliards d’euros, aide qui devrait prendre fin en 2020. On notera que la Serbie, qui possède une industrie de l’armement très performante et exportatrice, est le premier pays en Europe à avoir reçu des drones de reconnaissance et d’attaque chinois.

Le « dictateur »

Viktor Orban le Premier ministre hongrois, celui que Jean Claude Juncker avait gratifié du terme de « dictateur » en 2015 apprécie Trump et sa politique dans les Balkans. Sur le plan international, il joue un jeu de bascule entre la Russie, la Chine et l’Europe. Dans l’application de sa « révolution conservatrice » dont les piliers sont « la conscience nationale, les valeurs culturelles chrétiennes, l’attachement à la patrie et à la famille », il bénéficie en Allemagne de soutiens solides, particulièrement chez les conservateurs catholiques bavarois, parti proche de la présidente de la Commission. Il vient de faire inscrire dans la constitution hongroise, juste avant le lockdown, que le mariage se pratique exclusivement entre hommes et femmes.

Avec un parti majoritaire, Fidesz, à ses ordres, il a réussi à faire en sorte que les droits du Parlement soient transférables au gouvernement, que l’état d’exception devienne prolongeable à l’infini, et que son gouvernement ait à disposition tous les pouvoirs si nécessaire. Il va de soi qu’en Hongrie les manifestations sont interdites et la liberté des médias fortement muselée. Une nouvelle loi punit de cinq ans d’emprisonnement la publication de « fausses nouvelles ». Dans les faits tout contrôle parlementaire est aboli. Son parti Fidesz projette de limiter les droits des homosexuels, les observateurs notent un climat favorable à l’antisémitisme. Il y a eu neuf modifications de la constitution hongroise en neuf ans. Orban a un besoin pressant d’argent. Dans ses rêves de grandeurs, il veut rendre la Hongrie autonome en matière de défense. Aussi vient-il de commander pour un milliard de dollars des systèmes de défense aérienne à Trump auxquels on rajoute trente-six hélicoptères à Airbus et deux Embraër C-390 aux Brésiliens, le tout dans un climat de crise généralisée.

La Pologne de Tusk

Un autre grand adorateur de Trump est le Premier ministre polonais Tusk. En 2015 il recherche l’alliance avec la Grande-Bretagne, mais depuis le Brexit cette option se dissout. Il se tourne vers Trump pour qui la notion de démocratie est pour le moins transparente, sinon invisible. Il suit en cela un des principes de la diplomatie polonaise post-soviétique qui est d’éviter la dépendance, mais également l’isolation. 

Lors de l’annonce du retrait des troupes américaines de République fédérale, il y a de cela quelques mois, Tusk s’est obséquieusement offert de les accueillir et de financer cette présence. Son parti droit et justice (PiS) dont le chef est vice-premier ministre, a besoin d’argent pour réaliser les grandes réformes qu’il a promis et pour renforcer les bonnes grâces de l’aile conservatrice de l’église catholique polonaise qui anime la quatrième radio en matière de popularité. 

Elle diffuse des opinons d’extrême droite, anti-européenne et antisémite. Le parti s’applique à mettre un terme à la politisation des juges en peuplant la justice de fonctionnaires zélés et en revenant sur leur immunité, celle des procureurs ainsi que sur celle des membres du Parlement, qui peuvent ainsi être emprisonnés sur demande du procureur général qui est lui à la botte du régime. Il en ira de même des journalistes que le gouvernement se charge de museler. La volonté de quasi interdire l’avortement est tombée sur une opposition forte et tenace de la part des femmes avec à certains moments 100.000 manifestants dans les rues de Varsovie, ce qui a pour le moins gelé la machine gouvernementale. Cette stratégie politique se passe en collusion avec la hiérarchie catholique à tel point que des voix discordantes commencent à s’élever de l’aile libérale du clergé. 

À l’instar de la Hongrie la Pologne réarme massivement avec en qualité de fournisseur principal, les États-Unis. En 2018 la Pologne a signé l’achat de missiles Patriot pour un montant de 4.75 milliards de dollars. En août dernier, ils ont signé un accord de coopération militaire avec les États-Unis qui ouvre la voie à des financements tout rendant aux Américains la souveraineté juridique sur ce qui se passe dans leurs bases en Pologne A cela s’ajoute en janvier dernier une commande de 32 jets américains d’un montant de 4.6 milliards. La Pologne, à l’instar de la France et de l’Otan est un fort partisan de la dissuasion nucléaire et est demandeur de « possibilités techniques de coopération » ce qui n’était du goût de Trump, mais pourrait représenter un « casus belli » pour Poutine.

Une Europe qui met du temps à réagir

Face à cette pétaudière balkanique, Bruxelles a mis une lenteur infinie à mettre en place des garde-fous contre ces dérives autoritaires. Comme le faisait remarquer Human Rights Watch dans un article récent paru dans le monde : « La coalition de centre droit au Parlement européen, le Parti populaire européen (PPE), doit se désolidariser du Fidesz, le parti au pouvoir de Viktor Orban. La faiblesse des déclarations de ses leaders, dont Manfred Weber à la tête du au Parlement européen et Ursula Von der Leyen à celle de la Commission européenne, montre combien la présence du Fidesz conduit le PPE à davantage protéger Orban et ses dérives que les valeurs fondatrices de l’UE.» Peut-on y déceler la très discrète griffe de la diplomatie vaticane ? 

Cette année les choses ont changé avec la mise en place et l’activation d’un mécanisme liant respect des valeurs fondamentales de l’Europe et de son système de droit à la réception de fonds issus du budget européen, ce qui déplaît profondément à Orban et Tusk qui en retour bloquent le vote du budget européen sanctionnant tous ses membres. Manfred Weber déclarait enfin le 19 novembre sur Euronews que le Parlement européen ne ferait pas de concessions sur le respect les valeurs fondamentales de l’Europe et les versements de fonds européens. 

Entretemps en Pologne, la Hongrie et les signaux émanant d’un changement à la tête des États-Unis commencent à faire effet. Biden n’a-t-il pas cité la Pologne, la Hongrie et le Belarus comme des exemples de la montée des totalitarismes. Ne disposant plus du recours à un Trump, les connaisseurs du milieu pensent clairement que Tusk va lâcher Orban et se réaligner. Mme Merkel saura certainement raison faire entendre, les enjeux allant bien au-delà des budgets européens. Il n’en reste pas moins que les deux pays encaissent bon an mal an 17 milliards de l’Union européenne et ont un besoin pressant d’argent liquide. 

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