Texte par Cadfael

La tour d’ébène politique parisienne surchauffe. A ce jour environ 6000 militaires de tous grades et de toutes armes ont signé une lettre intitulée « Lettre ouverte à nos gouvernants ». Les grades des signataires vont des généraux de corps d’armée au soldat de première classe. Le courrier a été révélé en date du 14 avril sur le site de Valeurs Actuelles. Beaucoup d’autres sont sympathisants mais n’ont pas signé par peur des conséquences.

Le texte est carré et abrupt, typiquement militaire empruntant parfois un vocabulaire qui n’est pas celui de la gauche mais pas non plus celui de l’extrême droite.  Le style direct et sans détour tranche par rapport aux petites phrases à large spectre spéculatif dont nous ont habitués les occupants politiques des palais parisiens.

Des préoccupations

Les auteurs de cette lettre d’une page et demi analysent la situation de la France lorsqu’ils évoquent un :

« – Délitement qui, avec l’islamisme et les hordes de banlieue, entraînent le détachement de multiples parcelles de la nation pour les transformer en territoires soumis à des dogmes contraires à notre constitution. Or chaque Français, quelle que soit sa croyance ou sa non-croyance, est partout chez lui dans l’Hexagone ; il ne peut et ne doit exister aucune ville, aucun quartier où les lois de la République ne s’appliquent pas.

– Délitement car la haine prend le pas sur la fraternité lors de manifestations où le pouvoir utilise les forces de l’ordre comme agent supplétif et bouc émissaire face à des Français en gilets jaunes exprimant leurs désespoirs. Ceci alors que des individus infiltrés et encagoulés saccagent des commerces et menacent ces mêmes forces de l’ordre. Pourtant ces dernières ne font qu’appliquer les directives, parfois contradictoires, données par vous, gouvernants.

Les périls montent, la violence s’accroît de jour en jour. Qui aurait prédit il y a dix ans qu’un professeur serait un jour décapité à la sortie de son collège ? Or nous, serviteurs de la Nation, qui avons toujours été prêts à mettre notre peau au bout de notre engagement – comme l’exigeait notre état militaire, ne pouvons être devant de tels agissements, des spectateurs passifs. »

Les réactions du cosmos parisien

Réactions du Premier ministre français et du Chef d’Etat-Major des armées sont classiques, il y est question de « sanction sévères ». Les signataires ont été menacés des foudres de la justice militaire car, stéréotype toujours en vigueur, l’essence de l’armée est de risquer sa vie et de « la fermer ».

La presse de gauche, dans ses habituelles tirades politico-philosophiques, voit dans ce courrier un appel au putsch. La date de publication, qui est le 14 avril, est, proche de celle du 21 avril 1961, date du putsch d’Alger. On amalgame et on fait référence au Boulangisme et autres tentatives de pronunciamentos militaires. Mais nous sommes en 2021 et pour l’armée française, une des armées les plus pointues de la planète, avec du personnel hautement formé, souvent dans des universités européennes, les temps de l’OAS sont révolus. Ces soldats ont le droit d’avoir une opinion et de l’exprimer dans une Europe des valeurs juridiques humanistes et des droits de l’homme, car ce droit ils le payent avec l’engagement de leur vie.  

La manière dont le gouvernement Macron règle cet appel de son armée démontre un malaise profond du pouvoir face aux réalités quotidiennes du pays. Ce côté perturbateur n’est pas prévu dans les schémas des jeux politiques parisiens où l’on préfère le « côté courtisan » comme le définissait Peter Scholl-Latour, longtemps correspondant de la télévision allemande à Paris, dans son ouvrage « Leben mit Frankreich ».  Ces réactions des têtes de l’Etat laissent supposer que l’Elysée, malgré la toute-puissance de ses outils de renseignements, est mal préparée. Parfois on pense à Louis XVI avant l’orage. Des têtes vont tomber, mais lesquelles ?

Les Français du côté de leur armée

La tentative d’enterrer ce courrier sous une chape de silence se solde par un échec du fait de la publication d’un sondage « Harris Interactive » pour la chaine d’information « LCI » ce 29 avril la montre que 58 % des personnes interrogées soutiennent les militaires (sur un échantillon de 1613 sondés). Une personne sur deux pense que l’armée devrait intervenir pour garantir l’ordre même sans sollicitation de la part du gouvernement. Selon LCI : « Au total, 84% des Français interrogés pensent que la violence augmente de jour en jour et 73% d’entre eux estiment que le pays se délite. »

Le gouvernement de M. Macron peut faire disparaitre ce courrier par un des tours de passe-passe dont les milieux parisiens ont le secret mais la réalité est tenace : la sécurité n’a pas de couleur politique, elle fait partie du bien-être et de la qualité de vie d’un pays. 

Sanctionner au lieu d’être à l’écoute est médiéval mais tellement tentant. Espérons que nos voisins français, engoncés dans les lambris élyséens, trouveront la voie de la sagesse et de l’ouverture d’esprit afin de remédier en profondeur à cette lettre ouverte qui est le cri du cœur d’une armée lucide face au quotidien. L’Europe les observe et les jugera et comme tout ce qui touche à la défense européenne, gageons que les analystes des grandes centrales de renseignements s’en donnent à cœur joie.

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