Par Cadfael

Dans l’Union européenne, le seuil de pauvreté correspond à 60% du revenu médian du pays membre. La froideur de la définition cache cette pauvreté rampante de ceux qui ont un emploi ou une retraite, celle qu’on ne veut pas montrer et qui est en train de devenir une nouvelle pandémie…

Qu’on se rappelle

En l’an 2000, le conseil européen de Lisbonne prêchait la bonne parole et l’optimisme. Ses promoteurs vendaient un projet grandiloquent qui voulait faire de l’Europe « une économie de la connaissance la plus compétitive et la plus dynamique du monde ». Il devait reposer sur trois piliers : un pilier économique, un pilier environnemental et un pilier social. L’application des mesures prévues devait arriver à un modèle social européen modernisé grâce à des investissements en matière de ressources humaines. On promettait (naïveté ou stratégie politique?) d’arriver à « un élan décisif » permettant l’élimination de l’exclusion sociale. Des objectifs chiffrés avaient été mis en place. Comme la matière relève des compétences nationales, l’élaboration de plans d’action nationaux avait été élaborée selon les opportunités politiques du moment.

Le modèle français

A l’époque la France avait prévu d’agir sur plusieurs axes : la réduction de la pauvreté, dont celle des enfants, l’insertion des jeunes, les bas niveaux de qualification et de revenu. S’y rajoutaient la lutte contre l’illettrisme, l’éradication de l’habitat insalubre, l’amélioration de l’accès à la santé et aux soins. Cette énumération reflète assez bien les maux qui touchent toujours de grandes parties de l’Europe. Aux succès initiaux des politiques françaises en la matière, la pandémie et les dérapages économiques ont fait émerger une nouvelle pauvreté, celle de ceux qui ne peuvent plus se nourrir au quotidien. Plus de 45% des personnes qui vont aux banques alimentaires sont nouvelles. En France, selon le dernier rapport du Secours catholique, en 2020, entre 5 et 7 millions de personnes ont eu besoin de recourir à l’aide alimentaire. « Une humiliation que la France inflige a 10 % de sa population » peut-on y lire « En 2020, la part des ménages rencontrés sans ressource financière atteint 22 %. Le niveau de vie médian est en baisse (537 euros) et largement en deçà du seuil d’extrême pauvreté (739 euros), ce qui se traduit par autant de privations ».

Ce n’est guère mieux ailleurs

Les données du Secours catholique sont corroborées par les dernières statistiques d’EUROSTAT dans sa mise à jour du 16 mai 2022. On y apprend qu’au Luxembourg 4.5% de la population n’est pas en mesure de s’offrir un repas complet (avec poisson ou viande) chaque deuxième jour. Il s’agit 3.7% en Belgique, 9.1 % en Italie, 7.1% en France, 12.7 % en Allemagne et 12.4% en Grèce. Ces chiffres sont en hausse. Lorsqu’on analyse la rubrique « foyer monoparental avec enfants » la situation empire. Au Luxembourg ce sont 5.9 % qui ne se nourrissent correctement qu’un jour sur deux. En Belgique ce sont 7.1 % des foyers qui sont en détresse alimentaire. L’Italie marque 8.9% de sa population, la Grèce 23.3, la France 7.7 et l’Allemagne 21.1%, un paradoxe pour ce pays où selon l’édition 2021 du « Global Wealth Databook » du Credit Suisse, le nombre de millionnaires a augmenté de plus de 15 % entre 2019 et 2020.

Les nouveaux pauvres

A ce tableau se rajoutent les personnes en risque de pauvreté, les nouveaux pauvres ou comme on les nomme en Allemagne : « ceux qui sont touchés par la pauvreté ». Ce sont des personnes qui ont un emploi ou une retraite, mais qui ne peuvent pas décemment subvenir à un style de vie qu’on peut qualifier de « minimaliste ». Eurostat considère que 17.4% des personnes au Luxembourg sont en risque de pauvreté, qui se définit par des revenus inférieurs à 60% du salaire médian. Cela signifie autour de 2000 euros mensuels en revenu disponible équivalent, ce qui définit le revenu total d’un ménage, après impôt et autres déductions, disponible en vue d’être dépensé ou épargné.

La fiche pays du Luxembourg sur le site du FEAD, le Fonds européen d’Aide aux Démunis, une sorte de porte-monnaie européen à disposition des états membres, informe sur une nette progression des gens à risque de pauvreté ou d’exclusion sociale. Ils passent de 19% en 2014 à 21.9 en 2018, chiffres avant pandémie. Il en ressort que le gouvernement en 2018 a mis de sa poche tout juste un demi-million. Le reste venant du FEAD pour être distribué à un peu plus de récipiendaires dont la majeure partie (75%) serait selon cette fiche pays des « migrants, minorités ou des non-nationaux). Entretemps nous avons droit à la guerre d’Ukraine et sa misère humaine.

Et les enfants

Selon un rapport publié en 2019 de la Cour des Comptes Européenne, l’Union européenne comptait 23 millions d’enfants menacés de pauvreté ou d’exclusion sociale l’année précédente. Cette menace touche 24.2 % des enfants au Luxembourg en 2020, selon Eurostat. Dans une causalité multiple, le faible niveau d’éducation parentale ressort fréquemment. La fondation Bertelsmann, constate dans une étude de la même année que la pauvreté des enfants et des jeunes demeure un problème structurel qui progresse au-dessus de la ligne de 20 % depuis une dizaine d’années. Ce qui est valable en Allemagne se reflète au niveau de l’ensemble de l’Europe avec quelques rares exceptions, dont les pays nordiques.

Se cachant derrière l’argument de la compétence nationale Bruxelles arrose à coups d’euros via de multiples organismes comme le FEAD. Là où un travail de terrain et de contrôle de l’utilisation des fonds serait nécessaire et urgent, où une classe politique devrait faciliter l’aide à la formation, aux revenus dignes et au logement, Bruxelles s’épanche dans de longues et studieuses études comme celle qui planche sur la faisabilité d’une « garantie pour l’enfance » (Child Garantee). Face aux prédictions pessimistes de croissance, la pauvreté a de beaux jours devant elle, même si comme au Luxembourg les institutions sociales, bénévoles ou non, fonctionnent bien.