La dessinatrice américaine Alison Bechdel, sensation avec son premier ouvrage, Fun Home, qui racontait l’histoire de son père homosexuel refoulé, fait encore plus fort avec son nouveau livre, Le Secret de la force surhumaine, remarqué par un prestigieux jury littéraire en France.

Parmi les 12 titres qui concourront au prix Médicis du roman étranger, un roman graphique, celui de cette autrice culte. C’est inédit, et une forme de consécration pour la BD toute entière. Après vingt ans passés à développer une œuvre lucide sur sa famille et sur la communauté lesbienne, Alison Bechdel est devenue une star mondiale du 9e art.

Le Secret de la force surhumaine (Denoël Graphic) aborde avec humour sa relation particulière avec le sport, obsession qui l’a poursuivie au tout au long de sa vie. “Je me sens contrainte, ça m’oblige à m’exercer contre quelque chose”, explique-t-elle lors de son passage à Paris. “Ça doit être mon côté masochiste” dit-elle en riant. “Mais ça me plaît. C’est ma manière de me reposer”, ajoute-t-elle.

Le secret du père

Alison Bechdel travaille lentement à partir d’un script. “J’aimerais que ça soit plus équilibré entre le texte et le dessin. Mais les mots viennent en premier. Et une fois que je les ai écrits, le dessin arrive”, explique-t-elle. Il lui a fallu huit ans pour terminer “Le Secret de la force surhumaine”, son premier ouvrage entièrement en couleur. “J’ai passé beaucoup de temps à simplement écrire et à être très occupée dans ma vie. Ma mère est morte, Fun Home a été adapté en comédie musicale à Broadway…”.

L’autodérision dans ce volume sur l’exercice physique est une excuse pour jeter un regard en arrière, sur sa vie, ses amours et ses démons familiaux. “Je suis née dans une maison extrêmement décorée et nous devions faire très attention aux objets autour de nous. Je ne pouvais pas arranger ma chambre comme je le voulais. C’était mon père qui l’avait disposée comme un musée”, raconte-t-elle.

Ce père, Bruce, était professeur et gérait les pompes funèbres dans son village de Pennsylvanie (États-Unis), un héritage familial. Il s’est marié et il a eu trois enfants, mais il maintenait en parallèle des liaisons secrètes avec d’autres hommes, jusqu’à être menacé de prison après avoir approché un mineur. Quand sa femme demande le divorce, il meurt dans un accident qui, pour sa fille, a l’air d’un suicide.

“Tel que je le vois aujourd’hui, c’est quelqu’un qui est né au mauvais moment”, explique Alison Bechdel. Une des manières de se rebeller contre cette ambiance familiale a été de faire du sport de manière obsessionnelle: course à pied, alpinisme, yoga, cyclisme…

Dessinatrice, lesbienne ou non

Là où son père n’a pas eu le courage de faire son coming-out, Bechdel a mis sa plume et sa popularité au service de la communauté LGBT et de la cause féminine. Elle a crée par exemple le Test de Bechdel, une forme simple pour évaluer si un film est féministe. 

“Quand j’étais jeune et que je débutais, c’était important pour moi d’être considérée comme une dessinatrice lesbienne. Aujourd’hui, à mesure que je vieillis, je me rends compte que ça me limite. C’est un piège. J’aimerais être reconnue comme simple dessinatrice de bande dessinée”, lance-t-elle avec le sourire. Dans le sport, le débat autour de l’orientation sexuelle et des personnes transgenres a pris une tournure très polémique.

Certains adolescents qui se déclarent transgenres peuvent concourir avec des filles de leur âge. Cette ouverture a été très critiquée, pas seulement par les sportives touchées, mais aussi par certaines féministes. “Je ne sais pas quoi en penser. Je suis partagée”, reconnaît l’autrice. “On devrait avoir le droit d’exprimer son genre de la manière que l’on veut. Mais d’un autre côté, il semble qu’il y ait des inégalités”.