« Le féminisme doit être intersectionnel sinon il ne sert à rien ». Une phrase qui résume parfaitement la pensée d’Isabelle Schmoetten, responsable des projets politiques au CID femmes et genres, notre portrait du jour et dernier de notre série consacrée aux femmes inspirantes. 

Pouvez-vous nous expliquer ce qu’est le CID ?

« Le CID femmes et genre est une ASBL luxembourgeoise créée il y a presque 30 ans. C’est un peu la suite du Mouvement de libération des femmes créé en 1972 au Luxembourg. Très actif dans les années 70, le MLF s’est essoufflé pour s’arrêter dans les années 90. Afin que leurs efforts ne soient pas vains, diverses rencontres entre des femmes ont permis la création d’un centre de documentation et d’information qui est maintenant le CID.

On est surtout une bibliothèque publique féministe, où tout le monde peut venir emprunter des livres, des CD, des documents. Les archives du mouvement de libération des femmes sont chez nous, mais aussi celles de deux compositrices luxembourgeoises et de Jeanne Rouff, une des premières juges luxembourgeoises. Nous sommes vraiment spécialisés dans la théorie des genres, l’histoire féministe, les droits des femmes. On a aussi une grande partie littérature écrite par des femmes. »

Quel est votre rôle au sein du CID ?

« Je suis responsable des projets politiques. On fait aussi des événements, des campagnes, du networking avec d’autres associations féministes. Notre but majeur est vraiment de promouvoir l’égalité entre les sexes au Luxembourg et au-delà. Le CID lutte également contre les discriminations et les inégalités. Notre responsable des projets culturels, par exemple, utilise les archives de compositrices pour essayer de promouvoir l’égalité dans la musique classique au Luxembourg. J’ai déjà collaboré avec le musée d’art moderne, mais aussi avec Neimenster ou les Rotondes. À chaque fois que des institutions culturelles veulent réaliser un projet plus féministe, ils nous contactent pour travailler ensemble. » 

Comment percevez-vous le féminisme au Luxembourg ?

« La troisième vague mondiale est bien arrivée au Luxembourg. Nous le constatons grâce aux grèves féministes de l’année passée et de cette année, le mouvement est devenu plus grand et plus jeune. Ce qui est beau dans notre mouvement et dans la plateforme Jif en général, est que certaines représentantes déjà actives dans le mouvement MLF dans les années 70 sont encore présentes. Nous comptons également des femmes issues de différentes nationalités et des étudiantes curieuses très intéressées par la cause. Le féminisme est bien vivant au Luxembourg, il a connu un vrai boost.

En parallèle, je constate des contre-attaques, des forces antiféministes. Mais là aussi, la tendance est mondiale. Là où le féminisme devient plus fort, les antiféministes sont plus présents aussi. On le remarque dans les commentaires d’articles sur des sujets féministes, certains sont très misogynes avec des stéréotypes patriarcaux. Ce sont des personnes qui se sentent attaquées et qui ont peur de perdre leurs privilèges. »

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Isabelle Schmoetten

Le CID soutient-il aussi la cause LGBTQIA+ ?

« Nous sommes ouverts à tous les genres. La bibliothèque comprend une partie queer/féministe, axée sur les droits LGBTQIA+. Nous collaborons étroitement avec le centre Cigale qui dispose également d’une bibliothèque spécialisée. » 

Que peut-on retrouver d’autre dans votre bibliothèque ?

« Elle a un grand espace pour les enfants et pour les jeunes dont l’objectif est de casser les stéréotypes de genres. D’un côté pour l’empowerment des filles, leur expliquer qu’elles ne sont pas plus faibles que les garçons, et de l’autre pour montrer aux garçons qu’ils peuvent aussi faire ce qu’ils veulent sans se laisser influencer par les stéréotypes sexistes. Tout le monde peut pleurer, jouer aux poupées, aimer le rose… Nous proposons aussi une section avec des outils pédagogiques qui peuvent être utilisés dans les écoles et les maisons relais.» 

Est-ce que vous ressentez qu’il y a aussi une évolution pour les communautés LGBTQIA+ ?

« Peut-être est-ce juste un souhait, mais j’ai l’impression qu’on passe d’un féminisme libéral et blanc vers un féminisme plutôt queer et intersectionnel. Au CID, nous prenons cette direction. Les sujets que l’on traite vont dans ce sens. Par exemple, le langage inclusif est très important pour nous car nous croyons à l’influence de la langue sur plusieurs niveaux. »

Quelle est votre propre vision du féminisme ?

« Je crois que le féminisme doit être intersectionnel sans quoi, il ne sert à rien. Il faut commencer par aider celles qui sont toujours oubliées. Le plus important pour le féminisme est de remettre en question tout le système actuel, économique, politique. Déconstruire le pouvoir pour lutter pour une vraie démocratie où tout le monde a la possibilité de contribuer et réfléchir à la façon de vivre ensemble. L’idée du féminisme est d’aller plus loin que la relation entre les genres, c’est aussi la situation économique, l’écologie, la nationalité, l’orientation sexuelle… Nous devons vraiment penser ensemble tous ces aspects-là. Le but ultime serait que chacun puisse se développer et vivre librement, dans une société juste qui respecte une culture des droits humains.»

Isabelle Schmoetten lors de la grève des femmes

Quelles femmes vous inspirent ?

« Beaucoup ! Il y a une auteure allemande que j’aime beaucoup, Margarete Stokowski. Je la recommande à chaque fois qu’une amie veut lire sur le féminisme, mais plutôt en introduction. Elle écrit d’une manière très humoristique et très fondée. J’aimerais pouvoir transmettre les sujets comme elle, d’une manière un peu sarcastique. Parfois, c’est plus facile de faire passer des messages importants quand on ne prend pas un ton lourd.

Ensuite, je dirais vraiment les femmes avec lesquelles je travaille. Au CID, je suis la plus jeune maintenant et beaucoup de mes collègues sont là depuis le début. Notre bibliothécaire a un savoir immense sur les différentes théories, elle est très humaniste dans son féminisme. Mes sœurs dans la plateforme Jif comme Milena, Jessica et Line m’inspirent énormément. J’ai l’impression qu’elles sont bien plus activistes que moi, qu’elles ont plus d’énergie. Et dans les femmes plus connues, j’ai toujours aimé Emma Watson et Chimamanda Ngozi Adichie, c’est une auteure américaine nigérienne. Elle a notamment dit « On devrait toutes être des féministes ». Et les féministes luxembourgeoises de longue et très longue date, par exemple Berthe Lutgen, Maddy Muhlheims, Colette Kutten, Tres Gorza…je me sens très chanceuse et privilégiée de les connaître personnellement. »

Que voudriez-vous rappeler aux gens en ce mois de la femme ?

« Le féminisme est pour tout le monde. Il ne s’agit pas des femmes contre les hommes. Ce n’est pas une lutte les uns contre les autres. Ça doit être un combat commun pour un monde meilleur. Pour d’abord celles qui sont toujours oubliées comme les agentes de nettoyage, les afros descendantes, les migrantes… »

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