Par Cadfael
Tel est le titre d’un ouvrage de Carlo Strenger, dans lequel il démontre que la liberté n’est pas un droit fondamental mais une conquête de la culture occidentale qu’il s’agit de préserver.
Une constitution ancienne face à des défis nouveaux
Depuis bien longtemps une révision de la constitution luxembourgeoise dont la version initiale date de 1868 est nécessaire et annoncée. Le texte d’origine, qui a subi de nombreuses modifications et ajouts, n’en demeure pas moins empreint de l’esprit d’une époque où la notion de droits de l’homme était honnie des constituants et où le principe de légitimité monarchique présidait.
Les articles sur les prérogatives du Grand-Duc, chef de l’Etat, prennent presque plus de place que ceux qui règlent les droits et libertés individuelles. La constitution est le document fondateur d’un Etat. Il est l’image d’un vouloir vivre en commun sur base de valeurs communes. Ce texte constitutionnel règle le jeu de la liberté et de l’autorité en les conciliant. Comme l’écrivait le grand constitutionaliste français André Hauriou, la constitution met en place « la technique de la conciliation de l’autorité et de la liberté dans le cadre de l’Etat »
De nouveaux types de menace
Le Covid a clairement confirmé que notre constitution n’est plus adaptée à une époque où la probabilité que surgissent des menaces rapides, imprévisibles et difficiles à cerner devient plus importante. Le Covid peut être vu comme l’exemple même, d’un nouveau type de menace qui remet en cause jusqu’aux fondements même, de nos démocraties et de l’exercice des libertés fondamentales qui y sont attachées.
Les mécanismes constitutionnels d’un Etat sont lents : interventions des diverses chambres élues, avis, projets de lois etc. tout à l’opposé du modèle d’agression ultra-rapide tel que celui initié par le Covid, modèle inconnu jusqu’alors, si ce n’est, toutes proportions gardées, lors de l’invasion de notre pays par les troupes allemandes, le 10 mai 1940.
Le phénomène surgit rapidement et exige des réactions rapides de la part des gouvernants. Cette fois-ci ce n’est pas une menace militaire mais bactériologique. La réponse à cette menace de l’équipe de Xavier Bettel est un sans faute, dans le respect optimal des droits et libertés. De plus le Premier Ministre s’est prononcé, du moins pour l’instant, contre l’utilisation de logiciels de contrôle de type intelligence artificielle appliquée aux flux de masse, à l’inverse d’autres gouvernements qui sous prétexte de pandémie testent ces nouveaux instruments de surveillance.
Des applications pas aussi anodines que cela !
En France la société DATAKALAB sous prétexte de se « mobiliser pendant la crise du Covid » comme l’explique son site, en « quantifiant l’immatériel », teste un logiciel d’analyse faciale à la station métro Chatelet les Halles à Paris sur une période de trois mois. « Nous ne collectons pas, nous ne stockons pas les données » affirme le CEO. Curieux, car leur technologie fonctionne déjà à Cannes sur un marché public ainsi que sur les arrêts de bus sous prétexte de surveillance de la distance sociale. Sur les sites de Tata Steel en Angleterre ou chez les dockers dans le port d’Anvers, on porte des bracelets qui couinent à chaque fois que l’on s’approche de trop près d’un collègue. A partir de juin, les bracelets de dockers auront également une fonction qui enregistrera leurs déplacements.
La société belge Rombit qui fabrique ce genre d’outils, affirme qu’elle va équiper plus de 300 sociétés. En France chez Bouygues, Sanofi et Schneider, il n’est possible de pénétrer dans le bâtiment qu’après une analyse de la température corporelle. A l’aéroport Charles de Gaulle à Roissy, depuis le 14 mai, des scanners de température corporelle fonctionnent. A cela se rajoute le fait que depuis mi mars l’aéroport teste également des outils de reconnaissance faciale. La question de la protection des données personnelles est évacuée par les inventeurs avec la classique réponse de type : « Nous ne stockons pas les données ».
La société polonaise Estimote Inc. vend des bracelets, qui en plus, se manifestent lorsque deux personnes seront trop longtemps restées proches l’une de l’autre. Herta Security à Barcelone, probablement le leader européen en la matière, propose des applications de reconnaissance faciale pour tout type de situation : policière, sécurité des bâtiments, contrôle d’accès, contrôle médical, robotisation. Très proche de l’université Polytechnique de Catalogne, elle est active dans une cinquantaine de pays.
Intelligence artificielle et pouvoir
Contre certaines de ces mesures il n’y a rien à objecter, ce qui devient critique est la concentration et l’exploitation d’un certain nombre de ces applications par des outils d’intelligence artificielle détenues par un seul pouvoir privé ou public non soumis au contrôle des instances issues de la démocratie élective.
L’exemple type nous a été relévé récemment par le Huffington Post et le New York Times qui affirment que le leader mondial en reconnaissance faciale, la société Clairview AI, avec plus de trois billions de photos volées sur les sites et réseaux sociaux, disposent d’une base de données 7 fois plus importante que celle du FBI. De plus selon les deux médias, cette société possède de longues relations avec l’extrême droite américaine tant par son fondateur que par ses proches collaborateurs, tout en étant sous contrat avec les grandes agences fédérales américaines actives dans le domaine de la sécurité.
Dans le même ordre d’idées, la société Any Vision, startup financée par Microsoft, est accusée d’utiliser sa technologie de reconnaissance faciale en Israël, dans les territoires occupés, en violation des droits de l’homme.
Les gardes fous ne pourront être que politiques
Les situations décrites plus haut deviennent de plus en plus courantes, presque la normalité. Thorbjörn Jagland, Secrétaire Général du Conseil de l’Europe avertit : « Les conséquences des progrès de l’IA sur la démocratie, les droits de l’homme et l’État de droit restent à clarifier. Comme l’avait rappelé, le regretté Stephen Hawking, les risques d’une intelligence artificielle non réglementée sont sans précédent. »
Notre constitution ne prend pas la mesure des redoutables menaces et pour le citoyen et pour notre Etat, que porte en elle tout ce qui a trait à l’intelligence artificielle.La déclaration des Droits de l’Homme et du Citoyen de 1789 qui dans son fameux article 1 dit : « Les hommes naissent et demeurent libres et égaux en droits. Les distinctions sociales ne peuvent être fondées que sur l’utilité commune. » ne vaudra pas cher face aux jeux de puissances qui se cachent derrière les mécanismes insidieux qu’une intelligence artificielle peut offrir. Les efforts en vue de préserver notre liberté dans une démocratie humaniste ne seront pas gratuits conclut Carlo Strenger : « Il dépend de nous de réussir à transmettre aux générations futures, la capacité à supporter les souffrances de la liberté et a reconnaitre toute la beauté que recèle l’aventure de cette même liberté. » M. Bettel, que voilà un défi encore plus difficile que celui du Covid !