Texte : Mathieu Rosan

Alors que la sortie de crise du Covid-19 se fera en douceur, beaucoup pensent déjà à la société de demain. Si certains estiment que, dans le fond, rien ne changera, on peut déjà s’accorder à dire que cette crise aura permis de faire évoluer certaines mentalités.

Tandis qu’en février dernier, le Conseil économique et social publiait une étude démontrant que les travailleurs frontaliers étaient indispensables pour le Luxembourg, le Covid-19 mettait de son côté en avant leur importance dans le système de santé du pays. Une main-d’œuvre vitale, et qui, au-delà de la crise sanitaire actuelle, est bien plus indispensable que certains aiment à le penser.

Véritable serpent de mer depuis de nombreuses années, la question des travailleurs frontaliers revient très souvent dans certains débats et notamment sur l’agora 2.0 que sont les réseaux sociaux. Des travailleurs frontaliers, qui, en même temps que la crise sanitaire, ont vu leur côté de popularité fortement augmenter auprès de certains résidents qui leur étaient auparavant plutôt hostiles. S’il y a bien quelque chose que l’on ne peut pas reprocher aux réseaux sociaux, c’est bien d’être un révélateur de certaines opinions publiques.

Un système de santé dépendant

Ainsi, si au début de la crise, la question de la fermeture des frontières était évidemment très présente, une autre revendication revenait assez régulièrement ; celle de ne plus autoriser les travailleurs frontaliers à passer la frontière de peur qu’ils ne viennent contaminer le reste de la population. Outre les doléances d’ordre sanitaire avec lesquelles nous pouvons être d’accord, les mots et adjectifs parfois utilisés étaient malheureusement trop souvent le révélateur de revendications bien moins reluisantes.

Seulement voilà, quelques jours plus tard, la ministre de la Santé déclarait que « tout le secteur de la santé du pays risquait de s’effondrer en l’absence des frontaliers » avant qu’une multitude de publications mettent alors en avant l’omniprésence des travailleurs frontaliers dans le système de santé grand-ducal (70% des personnes qui y travaillent sont des frontaliers selon chiffres évoqués il y a quelques semaines par Xavier Bettel).

Face cette réalité relayée dans les médias, les discussions sur les réseaux sociaux ont alors évolué et certaines remarques ont commencé à disparaitre. À contrecœur pour certains sans doute, mais qu’importe, cette crise du Covid-19 aura au moins démontré que les frontaliers, au même titre que les résidents, permettent de faire vivre un pays dont l’histoire récente et la réussite s’est forgée sur son ouverture au monde et en particulier à ses voisins.

Un cercle vertueux possible grâce aux frontaliers

Dans son rapport d’une cinquantaine de pages, le CES aborde différentes thématiques liées aux flux des frontaliers et dans lequel on peut notamment lire que « son apport est essentiel pour l’économie luxembourgeoise ». Alors qu’actuellement plus de 200 000 personnes passent les frontières pour venir travailler au Grand-Duché, ce flux représente environ 45% de la population active du pays. Pour ceux du fond de la classe qui n’étaient pas très fort en maths, cela représente quasiment une personne active sur deux dans le pays. On vous laisse ainsi imaginer l’importance de cette main-d’œuvre pour la santé économique du Luxembourg. De plus, selon les calculs du CES, d’ici 2035, entre 50 et 85 000 travailleurs supplémentaires viendront de France, de Belgique ou d’Allemagne, continuant de faire évoluer le curseur entre le nombre de travailleurs résidents et frontaliers.

Ainsi, pour Jean-Jacques Rommes, président du CES, « les travailleurs frontaliers contribuent de manière vitale à l’économie luxembourgeoise, dont ils dépendent et qu’ils font vivre » mettant également en avant le besoin du Grand-Duché d’un personnel hautement qualifié pour maintenir sa compétitivité. Selon lui, « la complexité et la sophistication des services offerts, avant tout dans le secteur tertiaire, requièrent des profils très particuliers » et qui, contrairement à ce que l’on pourrait croire, sont « de moins en moins disponibles dans la Grande Région ». Le président du Conseil économique et social met également en avant les problématiques sociologiques que nous évoquions précédemment et l’importance « d’éviter une ségrégation artificielle trop prononcée entre salariés résidents, voire luxembourgeois, et frontaliers ». Le but étant au contraire d’obtenir la meilleure cohésion sociale possible et ainsi continuer le cercle vertueux dans lequel se trouvent notre pays, ses résidents et les personnes qui y travaillent.

Si nous sommes malheureusement encore loin d’une parfaite cohésion sociale, cette crise sans précédent aura ouvert les yeux à certains et c’est déjà une petite victoire pour la société de demain. Continuons de remercier toutes les personnes qui permettent au pays d’affronter cette crise et ce, peu importe d’où ils viennent. Et puis, comme on dit chez nos voisins français, « il n’y a que les cons qui ne changent pas d’avis ! »

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