Cette interpellation est de Jean Claude Juncker, le monstre sacré de la politique luxembourgeoise, désormais à la retraite. C’est par ces paroles qu’il accueillît Viktor Orban, le premier ministre hongrois au sommet européen de Riga, en mai 2015. Cette allusion aux dérivés autocratiques du politicien hongrois s’avère, six ans après, plus que vérifiée. Sa dernière cabriole politique se jouait dans les rues de Budapest ce weekend. Selon Reuters de samedi, des milliers de citoyens manifestaient, dont certains avec des écriteaux « trahison », contre le démantèlement du système universitaire du pays au profit d’une influence démesurée de la Chine.

Acte 1 : « Mettre Soros a la porte »

L’«Université d’Europe Centrale» a été fondée en 1991 à l’initiative de Georges Soros, milliardaire américain d’origine juive hongroise. Elle est accréditée aux Etats-Unis et en Hongrie avec comme objectif initial de favoriser l’émergence d’une élite centre européenne favorable à la démocratie libérale et à la coopération interrégionale, ce qui dans les Balkans post-soviétiques représentait un défi majeur. Depuis elle a élargi son champ d’action au niveau mondial avec un accent particulier sur les droits de l´homme. Elle représente 1500 étudiants du monde entier et un corps enseignant de 300 personnes grâce à une dotation de fonds de 400 millions d’euros faite par M. Soros.

En 2017 le régime d’Orban refuse de prolonger l’accréditation de l’université : la Commission européenne lance une procédure contre la Hongrie qui se fait condamner par la Cour de Justice européenne en 2020, mais cela ne change guère la donne : le « dictateur » les met à la porte. Soros le milliardaire aurait-il le tort d’être juif ? Et celui de défendre des principes dans son université comme le respect de l’état de droit, les droits de l’homme, tous  absents des visions politiques d’extrême droite vendues par Orban et de son parti Fidesz.

Selon le New York Times du 15 nov. 2019, M. Soros était devenu une des têtes de turc favorites d’Orban, ce qui l’a amené à déménager progressivement ses institutions de Hongrie pour s’installer à Vienne. « Sous le régime autocratique d’Orban aucune institution libérale n’est tolérée ». 

Acte 2 : « Museler »

En 2020, Orban se fait de nouveau condamner par l’Europe cette fois-ci pour sa politique migratoire consistant à enfermer les migrants dans des camps ainsi que pour sa politique visant à censurer toute ONG non financée par la Hongrie. Et le 27 avril dernier « apnews » annonçait que le parlement hongrois, tout dévoué à son maitre, venait de transférer des biens valant plusieurs milliards d’euros à des fondations contrôlées par des oligarques du parti Fidesz. Ces fondations ont reçu des biens tels que des participations dans des sociétés semi-privées d’énergie, de production pharmaceutique, un port, un palais et 11 universités, contrôlant ainsi quasiment toute vie académique du pays. Comme l’expliquait le maire de Budapest   cela  donne lieu à des accusations de transferts de biens étatiques à des oligarques loyaux au parti. Selon des jurisconsultes proches de l’opposition il y aurait création d’un état dans l’état ce qui rendra la vie difficile lors tout changement de gouvernement.

Acte 3 : « Une alliance des dictatures »

Début mai le gouvernement signait un accord stratégique avec l’université de Funan basée à Shanghai. Cette université qui fête cette année ses 115 années d’existence a été créée à l’époque impériale. Elle est listée parmi les 100 meilleures universités mondiales. Un bel outil pour l’image de marque du régime de Pékin et surtout du Parti Communiste Chinois. Ils dynamisent ainsi leur politique d’emprise sur des « démocraties » qui cadrent avec les visons stratégiques de la Chine dans sa guerre de contre-influence contre les Etats-Unis et ses alliés. L’accord prévoit la construction d’une gigantesque université à Budapest sur un ancien site industriel de 26 hectares. Celui-ci était destiné à la réalisation d’une cité universitaire destinée à héberger 8000 étudiants hongrois. Elle est censée ouvrir ses portes en 2024 et former 6000 étudiants, Hongrois et autres annuellement. D’après le discours officiel, elle devrait apporter des investissements et de la recherche chinoise en Hongrie, déclarations prises avec un certain scepticisme par les experts occidentaux. Ce sera la première université chinoise au sein de l’Europe des 27. Selon le maire de Budapest la charte de l’université prévoit qu’elle doit représenter les opinons du Parti Communiste Chinois et que de ce fait elle se trouve aux antipodes des principes de droit régissant l’Europe. Les spécialistes y voient une porte ouverte à toutes sortes d’opérations d’influence et de collecte d’informations. Parallèlement le régime en place à Budapest s’ouvre de plus en plus vers des états totalitaires comme la Russie, la Turquie et d’autres en Asie centrale.

Le classique piège financier

Selon les journalistes d’investigation de « Direkt36 » le coût de construction hors taxes de cette structure est de 1.5 milliards d’euros ce qui représente plus que le budget national alloué aux universités en 2019. Selon une pratique courante de la Chine ce coût sera couvert à hauteur de 1.3 milliards par un prêt d’une banque d’état chinoise qui prend en garantie des biens de  l’état hongrois. Selon ces mêmes sources elle sera construite par une entreprise chinoise sans qu’aucune soumission publique ait eu lieu.Les manifestations de samedi dernier et les sondages montrent que le projet d’université chinoise est rejeté par une large majorité de la population. En 2022 il y aura des élections législatives : Orban sera face à une coalition de 5 partis bien décidés à en terminer avec les dérives croissantes du régime en place. 

Par Cadfael

N.B. : Pendant que j’écrivais ces lignes une grosse publicité pour la China Construction Bank, en chinois, s’ouvrait sur mon écran !