Le regard d’une peintresse diffère-t-il de celui d’un de ses confrères ? La Fondation Beyeler tente de répondre à cette question à travers l’exposition Close-Up. Elle y réunit le travail de neuf femmes artistes dont Cindy Sherman, Berthe Morisot et Frida Kahlo.
Rares sont les expositions que l’on doit regarder aussi attentivement que “Close-Up”. Tout y est question de regard, et plus précisément de “female gaze” (“regard féminin”). Ce terme, utilisé dans les milieux féministes et sur les réseaux sociaux, n’est pas tout neuf. Il est apparu en réaction au fameux “male gaze” (“regard masculin”) que la critique et réalisatrice féministe britannique Laura Mulvey avait théorisé en 1975.
Le “female gaze”, c’est ce regard qui déconstruit les mécanismes de domination patriarcale et occidentale à l’œuvre dans les arts. La commissaire d’exposition Theodora Vischer a décidé de s’intéresser à ce concept féministe à travers une centaine de portraits et d’autoportraits réalisés entre 1870 et nos jours. En moins de deux siècles, les femmes se sont émancipées de la sphère domestique et se sont données les moyens d’accéder à la profession d’artiste. Ce changement s’est reflété dans l’évolution du portrait, qui s’est mis, lui aussi, à aborder des questions sociétales importantes.
Changements de perspective
Les toiles de la Française Berthe Morisot et de l’Américaine Mary Cassatt illustrent ce phénomène. Elles ont toutes les deux contribué à façonner l’Impressionnisme et sont devenues des modèles importants pour les générations suivantes de peintresses. La plupart des œuvres de Morisot exposées dans Close-Up ont été réalisées entre 1869 et 1885. Ses modèles étaient très souvent des membres de sa famille, des domestiques et des jeunes femmes de son cercle de connaissances.
Mary Cassatt représentait également ses proches dans ses tableaux, et le plus souvent des femmes. Mais la nouveauté vient de la façon dont l’artiste les peignait. Quoi qu’elles fassent : lire, boire du thé, observer ou ne rien faire, elles apparaissent comme des sujets de la vie moderne. “Aujourd’hui, cela peut sembler peu spécial, mais à l’époque, c’était incroyablement important“, a déclaré Theodora Vischer au New York Times. “Elles ont créé un changement, un changement de perspective, passant du statut de modèle, de la personne que le peintre regarde, à celui de l’artiste lui-même“.
L’exposition Close-Up est organisée chronologiquement, chaque artiste disposant de sa propre salle. Parmi elles se trouvent Paula Modersohn-Becker, Lotte Laserstein, Frida Kahlo, Alice Neel, Marlene Dumas, Cindy Sherman et Elizabeth Peyton. “Bien que l’exposition n’ait pas l’intention de fournir une histoire du portrait depuis l’avènement de la modernité, les œuvres de chacune de ces femmes artistes présentent une forme spécifique de portrait qui est enracinée et découle de leur époque respective“, a affirmé la Fondation Beyeler dans un communiqué. Autant de “female gazes” différents.
L’exposition “Close-Up” se tient jusqu’au 2 janvier prochain à la Fondation Beyeler à Riehen, non loin de Bâle.