Un thème sujet à polémiques, le recours à la mendicité, a soulevé de nombreux débats et divisé les élus durant la séance du 27 mars du conseil communal de Luxembourg. La Ville a finalement opté pour l’interdiction face à un phénomène qui s’amplifie et témoigne du fait que la misère et la pauvreté s’invitent aussi dans les pays riches.

Par Isabelle Conotte

Faire disparaître les mendiants de la Ville

Pour échapper au Shérif de Nottingham, Robin des Bois, prince des voleurs, se déguise en mendiant, un stratagème désormais inopérant dans la ville de Luxembourg, et pour cause, le 27 mars, la capitale a adopté un arrêté qui interdit toute mendicité au centre-ville. Si l’opposition composée des LSAP (Lëtzebuerger Sozialistesch Aarbechterpartei), de déi Lénk et de déi Greng était contre, la majorité communale composée du DP (Demokratesch Partei) et du CSV (Chrëschtlech-Sozial Vollekspartei) a voté pour cette modification du règlement de la police. Elle s’appliquera à certaines places et rues de la Ville-Haute, du quartier de la gare et de Bonnevoie afin d’y supprimer la pratique de la mendicité. Dans les faits, cette mesure risque de déplacer la population visée, et finalement de l’invisibiliser et la cacher du centre-ville, contribuant ainsi à exclure davantage ceux qui souffrent déjà d’exclusion. En faisant ce choix, le conseil communal rejoint la démarche d’autres villes comme Nice, en France, qui a interdit la mendicité dans certaines rues touristiques, jugeant qu’elle crée des troubles à l’ordre public ou Genève, en Suisse, qui a défini des zones de la ville où il est désormais défendu de faire l’aumône.

La capitale souhaite ainsi assurer la sécurité et la tranquillité de ses résidents, et réagir face aux témoignages d’agressions verbales et physiques, et de la montée du sentiment d’insécurité, quitte à faire l’amalgame entre mendiants et délinquants. Cet arrêté est aussi une réponse aux requêtes des commerçants du centre-ville. Impactés par la concurrence des centres commerciaux, l’élévation du montant des loyers et la baisse des moyens des consommateurs, les magasins et boutiques souffrent. Ceux-ci jugent que les troubles à l’ordre public créés par la mendicité ont également des conséquences sur le commerce en affectant l’attractivité du centre-ville. L’arrêté a remporté l’adhésion de l’Union Commerciale de la Ville de Luxembourg (UCVL). Enfin, en choisissant une mesure pour cacher la misère, une des plus riches capitales d’Europe s’adresse aux visiteurs et aux touristes à qui elle pourra proposer une image d’Épinal pour les plus anciens, une ville instagrammable pour les plus jeunes, et tant pis pour le vivre-ensemble et la diversité.

Le droit à l’aumône peut-il être criminalisé ?

Une interdiction générale de la mendicité est contraire à la Convention européenne des droits de l’homme et quand des arrêtés anti-mendicité sont pris par des villes, de nombreuses associations de défenses des droits, dont la Ligue des droits de l’Homme, déposent des recours aux tribunaux administratifs. Ces mesures restrictives sont considérées comme une atteinte à liberté d’aller et venir, d’utiliser le domaine public, mais relèvent également d’une violation du principe de non-discrimination à l’égard des personnes vivant dans la pauvreté. La ville de Luxembourg se défend de vouloir stigmatiser les individus en précisant son intention de récriminer l’acte. Cette mesure dit aussi la volonté de Luxembourg de viser la mendicité organisée. Or, la mendicité en bandes, considérée comme de l’exploitation d’êtres humains par des réseaux, est à ce titre déjà interdite dans la capitale depuis 2015. Étant déjà punie par le Code pénal, la police et la justice ont donc la possibilité d’intervenir, ce qui devrait permettre de s’en prendre aux réseaux et de protéger les victimes.

En adoptant un article spécifiant l’interdiction de toute mendicité, la Ville élargit la sanction destinée à la traite d’êtres humains et au phénomène organisé à l’action isolée d’un individu, suggérant que la mendicité organisée disparaîtrait avec la mendicité simple. Enfin, criminaliser la mendicité, n’est-ce pas assimiler le mendiant au voleur ? Il n’y a pas de délit pour celui qui, dans la détresse, a le droit de demander de l’aide, sans créer de trouble à l’ordre public, comme pour celui qui dans un élan de générosité, de charité et d’humanisme souhaite donner une pièce à la personne de son choix. Enfin, si légalement, cet arrêté soulève bien des questions, on peut enfin se demander comment il pourra être concrètement mis en œuvre et quel type de punition sera applicable. Il risque de consister en une partie de cache-cache et des allers-retours entre les agents municipaux et les quémandeurs et, en toute logique, il ne comporte pas d’amende et il sera difficile de poursuivre des individus qui n’ont pas d’adresse.

Une mesure superficielle pour un problème complexe

L’article 48, sous couvert d’être une mesure humaniste, qui protège les victimes de la mendicité organisée a tous les airs d’une mesure symbolique qui rassure les citoyens inquiets, une solution probablement inefficace dans la durée, vu qu’il est déjà envisagé d’étendre le périmètre d’interdiction, si nécessaire. Ensuite, l’adoption de l’arrêté semble être une réaction excessive, proportionnellement à la population qu’elle vise. Menée à l’initiative du ministère de la Famille, de l’Intégration et à la Grande Région et organisée et coordonnée sur le terrain par l’association Inter-Actions, un premier recensement a permis d’établir qu’il y avait 197 personnes sans domicile fixe dans la ville de Luxembourg et parmi les sans-abri, tous n’ont pas recours à la mendicité pour vivre.

La mesure stigmatise une petite partie de la population et fait d’eux le bouc émissaire du sentiment d’insécurité qui se développe au lieu de concentrer son action sur les délits et infractions avérés comme le vol, par exemple, ou sur la prise en charge de ceux qui troublent l’ordre public comme les toxicomanes, par exemple. La Ville a mis en place des structures pour venir en aide aux personnes à la rue, celles qui ont des problèmes d’addiction aux drogues ou souffrent de problèmes mentaux et de nombreuses associations sont sur le terrain et apportent des solutions, alimentaires, par exemple.

L’arrêté, qui marginalise encore plus les marginaux, apporte-t-il réellement quelque chose au travail social mis en œuvre par la Ville et les associations ? Pour conclure, on ne saurait oublier de dire que le développement de la mendicité et l’accroissement du nombre de mendiants est avant tout le témoignage du creusement des inégalités et de l’augmentation de la pauvreté, même au Luxembourg.