Exit tutus et pirouettes, place à la capuche et au “head spin”: le célèbre ballet Casse-Noisette est revisité à la sauce hip-hop par la chorégraphe Blanca Li, qui fait dialoguer musique de Tchaïkovski et danse urbaine.

L’Espagnole connue pour ses métissages entre différents univers (classique, flamenco, électro) est de retour au festival annuel Suresnes Cités Danse (Hauts-de-Seine). C’est au sein de cette référence du hip-hop français, qui fête ses 30 ans, qu’elle avait fait sensation il y a plus de deux décennies avec “Macadam Macadam”, également inspiré de la culture urbaine, avec des danseurs hip-hop, patins à roulettes et bicyclettes d’acrobates.

Avec un groupe de danseurs basés à Madrid, où elle dirige les Teatros del Canal, Blanca Li revisite ce classique. Incontournable à Noël dans plusieurs pays, il a récemment soulevé, notamment aux Etats-Unis et au Royaume-Uni, un débat au sujet de ses tableaux de “danses nationales” (arabe, chinoise, etc), jugées par certains comme stéréotypés, voire racistes.

Un casse-noisette “popper”

“Je trouve que c’est une histoire, une musique qui s’y prête vraiment (à la danse urbaine, ndlr); j’aime bien ce contraste entre l’image très classique qu’on a de Casse-Noisette” et le hip-hop”, “qui est vraiment une danse d’aujourd’hui”, affirme Blanca Li en marge des répétitions au Théâtre Jean Vilar à Suresnes.

Elle n’utilise pas toute la partition de Tchaïkovski mais plusieurs morceaux emblématiques du ballet. L’histoire n’est plus un dîner de famille à Noël (où la petite fille Clara reçoit comme cadeau de son oncle Drosselmeyer un casse-noisette en forme de soldat en bois), mais un groupe de jeunes qui préparent le réveillon dans un appartement en dansant sur plusieurs musiques au départ (flamenco, salsa).

Le “casse-noisette” est devenu robot commandé via Ipad, incarné par un jeune homme qui danse du “popping” (danse urbaine fondée sur la contraction et la décontraction des muscles en rythme). Des “poppers” interprètent également la musique qui correspond dans le ballet classique à la danse chinoise. “C’est une musique incroyable, il ne faut pas s’arrêter sur les titres et les noms, ça va plus loin que ça, c’est universel”, estime Blanca Li.

Il y a bien sûr des breakers (ou danseurs de breaking, une discipline qui va faire son entrée aux Jeux olympiques de Paris en 2024): ils incarnent les souris et leur roi qui entrent en bataille contre Casse-Noisette dans le rêve de Clara, en faisant des “head spin” (rotation sur la tête) et des “passpass” (mains au sol, les jambes courant autour du corps). Blanca Li explique avoir choisi des danseurs d’Espagne car le hip-hop là-bas, “à la différence du hip-hop en France, n’est pas encore arrivé au théâtre, il n’y a pas beaucoup de compagnies, ils n’ont pas beaucoup de soutien”.

Tremplin pour la “danse de cités”

Alors qu’elle investissait essentiellement la rue dans les années 80, notamment autour du Châtelet et des Halles, la danse hip-hop en France a trouvé un tremplin scénique en la forme du festival de Suresnes, créé et toujours dirigé par Olivier Meyer, qui avait été inspiré d’une tournée de danseurs new-yorkais sous la direction de Doug Elkins. “C’était la première fois qu’on consacrait trois semaines dans un théâtre à faire vivre cette danse de cités dans ce qu’elle a de virtuose et d’énergie incroyable”, affirme-t-il.

“On ne voulait pas qu’ils soient juste les performeurs les plus forts et les plus acrobatiques mais qu’ils s’ouvrent à d’autres techniques”. Le festival lancera des artistes comme Mourad Merzouki, Kader Attou, Fouad Boussouf, aujourd’hui tous devenus directeurs de Centres chorégraphiques nationaux.

Certains y avaient vu une trahison à l’esprit du hip-hop, né dans la rue et par essence non chorégraphié. “Certains considéraient que la rue c’était la liberté et qu’entrer dans un théâtre faisait perdre leur identité”, se souvient M. Meyer. “Après, ils ont vu que cela leur ouvrait des possibilités de se professionnaliser et de vivre de leur métier”.