Texte par Cadfael

Un des effets secondaires de la pandémie, est de placer sous les feux de l’opinion publique la responsabilité des autorités de la République Populaire de Chine dans la dissémination du virus et, par rebond, de provoquer des questionnements sur la place que prend l’économie chinoise dans nos pays, du fait de sa stratégie systématique de conquête du monde.

La route de la soie

La Chine tisse patiemment depuis 2013, sous prétexte de relations économiques un vaste réseau commercial et financier à travers le monde et en particulier en Europe. Le projet de la route de la soie, ou « Belt and Road Initiative – BRI- » a pour but premier d’élargir le périmètre d’influence politique de la République populaire en jouant des divisions des européens.

À cette fin, la Chine joue intelligemment avec tous les outils à disposition d’un Etat à la recherche d’un leadership mondial, à savoir une diplomatie intelligente et sophistiquée. Les fonds gouvernementaux colossaux et l’activité d’entreprises chinoises recherchant des joint ventures. Pour un occidental, les entreprises chinoises se présentent comme privées mais se trouvent de fait sous domination de l’état et du parti. Les très puissantes banques d’état dont plusieurs ont leur siège au Luxembourg, sont les leviers techniques de cette politique « d’amitié et de stabilité ». A cette panoplie se rajoutent des contrats économiques à long terme et des financements de contrats de construction par des prêts et garanties bancaires parfois sans contrepartie apparente pour les pays en difficulté économique.

Les observateurs occidentaux ont noté une intense activité d’acquisition de propriété industrielle soit par le rachat de participations, soit par des accords de recherche avec des universités occidentales dont certaines dans des domaines sensibles pour la défense pour les droits de l’homme. A titre d’exemple, la dernière étude de la fondation allemande Mercator liste l’accord de recherche entre Huawei et le centre de recherche CRS4 en Sardaigne sur les applications intelligentes concernant la sécurité publique dans les villes perfectionnant ainsi les technologies de reconnaissance faciale de Huawei utilisées par la police de Xinjiang, région autonome Ouïghour. La très sérieuse revue américaine Foreign Policy d’avril dernier, souligne que la panoplie d’acquisition chinoise comprend un traitement discriminatoire des investissements étrangers en Chine qui aboutit dans la plupart des cas à des transferts de technologie forcés, du vol de propriété intellectuelle et du cyber espionnage. D’autres capitales occidentales sont plus discrètes en la matière mais n’en pensent pas moins. L’agence de recherche de Défense Suédoise par exemple a constaté dans un rapport de fin 2019 que les acquisitions chinoises en Suède se sont accélérées depuis 2019. On notera au passage que Volvo est chinoise.


Made in China 2025

Divulgué en 2015 un programme de développement stratégique, « made in china 2025 » ou « MIC25 » a comme objectif de réduire la dépendance de la Chine de 70 % par rapport à ses fournisseurs extérieurs et de faire du pays le leader mondial de produits high-tech jusqu’en 2049 date du 100e anniversaire du PCC. Les axes principaux de développement sont les véhicules électriques et les technologies alternatives de déplacement, les technologies de l’information, les télécommunications, la robotique et l’intelligence artificielle. S’y ajoutent l’ingénierie spatiale et aéronautique, les nouveaux matériaux de synthèse, l’équipement électrique de nouvelle génération, la biomédecine, les technologies de pointe du transport par chemin de fer et maritime.

Les ports européens, de belles cibles

En décembre 2018 le président chinois Xi Jinping a fait une visite de 2 jours au Portugal. Ce pays qui devient un des meilleurs amis de la Chine en Europe avec l’Italie, représente des enjeux majeurs pour les Chinois qui sont présent e.a. dans les banques, les assurances, le secteur hospitalier, la fourniture d’énergie. Selon l’ambassadeur de Chine au Portugal, les investissements de son pays au Portugal avaient atteint un volume de 9 milliards d’euros fin 2018, date à laquelle une convention a été signée entre les deux pays, devant initier une coopération « amicale » et stratégique dans le cadre de l’initiative chinoise Belt and Road. Ayant des visées sur le port de Lisbonne, il y est question d’investissements lourds dans le port de Sines, le port européen le plus proche de Panama, port en eau profondes portugais mis en service en 1978 mais jamais exploité à la hauteur de son potentiel. Il est également question de désenclaver les ports portugais par une voie de chemin de fer vers la méditerranée et les ports espagnols.

En Espagne en 2017, le groupe de transport maritime chinois Cosco a payé 203 millions d’euros pour une participation de 51 % dans le terminal conteneur du port de Valence en Espagne.
En mars 2019, l’Italie est devenu le premier pays du G7 a devenir officiellement membre du « BRI » (Belt and Road Initiative), la signature de l’accord comprend plus de 50 points qui touchent pratiquement tous les secteurs de l’économie dont les plus pointus. Au centre de cet accord se trouve entre autres, le terminal maritime stratégique de Vado Ligure en Italie du Nord.

En novembre de l’année dernière, le premier chinois a visité le port du Pirée, propriété récente du groupe chinois Cosco. Il a exprimé la volonté de la Chine d’investir 1 milliard d’euros pour l’extension du port du Pirée. Le même groupe chinois a acheté des parts dans Pearl, opérateur grec du rail. Il a également acquis des parts dans le terminal intermodal de Budapest.

Et le jeu de Monopoly chinois continue face à une Europe affaiblie et désunie. Notre pays a signé le même type d’accord avec la Chine le 27 mars 2019 lors de la visite officielle de Xavier Bettel en Chine. Est entre autres concerné, le terminal CFL intermodal. A la même occasion divers accords financiers ont été signés , ce qui a permis au site web chinois « one belt one road Europe » de constater que le Luxembourg et la Chine partagent la même volonté «construire un monde ouvert» Ce monde ouvert dans lequel les plus gros pays destinaires en investissements directs étaient jusqu’à l’année, dernière le Royaume Uni (50.3 mia), l’Allemagne (22.7 mia), la France (14.4 mia) et l’Italie (15.9 mia), change et s’oriente vers l’Europe du Nord avec la Suède et la Finlande tout en diminuant en volume, effet de la crise. Le Luxembourg qui est cité par l’étude du la fondation Mercator avec 2.4 milliards passe presque inaperçu. (Source : https://www.merics.org/de/papers-on-china/chinese-fdi-in-europe-2019).

L’Europe commence à réagir. L’union européenne a mis à disposition de ses pays membres, des montants conséquents afin de soutenir les acteurs de leurs économies face à la récession qui s’est installée suite au Covid-19. Un paquet de l’ordre de 600 milliards d’euros, dont tout n’est pas encore défini, a été promis par Bruxelles. Mme Merckel a défini pour la RFA un volume d’aide de 130 milliards. Cet ensemble de mesures est destiné en premier lieu, à éviter une descente aux enfers des économies européennes qui, serait catastrophique à bien des égards. Un autre aspect de cette politique et non des moindres, est certainement, d’après Business News du 12 avril dernier, la protection des intérêts économiques européens face à la politique chinoise d’acquisition de sociétés européennes : du moins c’est ainsi que l’a défini, Margrethe Vestager, vice-présidente exécutive de la Commission Européenne en charge de la concurrence dans divers interviews cités par l’agence Reuters en mars et en avril de cette année.


Le 8 avril dernier, le cabinet de Mme Merckel a décidé d’implémenter la législation européenne sur le contrôle des acquisitions de sociétés par des entités non européennes. Le premier pas pratique a été la mise en place le 20 mai dernier par un texte qui permets de prohiber l’acquisition de sociétés définies comme stratégiques particulièrement dans les secteurs de la recherche médicale tant de médicaments et vaccins et de matériels.C’est un premier pas qui sera suivi par d’autres: à quand une agence de contrôle européennes des prises de participation comme le CFIUS américain ? En juin l’Allemagne va prendre la présidence du conseil des ministres de l’Union Européenne et sera de fait, en charge des dossiers européens. Espérons que notre petit pays ne sera pas forcé de faire des choix douloureux à force de picorer à toutes les tables.