Compte tenu des difficultés croissantes en matière de mobilité, de nombreux frontaliers souhaiteraient davantage télétravailler. Bonne nouvelle, ça bouge. En tout cas pour les frontaliers français puisque le carcan « réglementaire » se détend. La France et le Luxembourg collaborent pour qu’un jour, il devienne possible de télétravailler deux jours par semaine, en toute simplicité.
Par Fabrice Barbian
19 jours pour les Allemands, 34 jours pour les Français à compter de 2023 (contre 29 actuellement) et 34 jours également pour les Belges, dès lors que la loi confirmant l’accord est votée, ce qui devrait être le cas. Ce sont les nombres de jours de télétravail maximum dont bénéficient les 212.000 frontaliers travaillant au Luxembourg, avec l’accord de leur entreprise, bien sûr, et sans que cela n’ait d’impact sur leur situation en matière fiscale ou en ce qui concerne la sécurité sociale.
Sur le volet fiscal, cela signifie que dès lors que ces seuils sont respectés, le salarié n’est pas imposé dans son pays de résidence sur les revenus qu’il perçoit au Luxembourg. Mais quelques précisions ne sont pas inutiles. Tout d’abord, ces seuils ne s’appliquent pas spécifiquement au télétravail. Autrement dit, les jours qu’un salarié pourrait passer en dehors du Grand-duché, pour une formation, par exemple, entrent dans le calcul des jours du seuil de tolérance. Comprendre qu’il n’est pas inutile de « gérer » ses jours de télétravail en bon père de famille, dans la durée, pour éviter les surprises. Autre observation, lorsque les seuils sont dépassés, l’imposition dans le pays de résidence ne s’applique pas aux jours « dépassés » mais dès le 1er premier jour de télétravail.
Mauvaise nouvelle pour le porte-monnaie ?
Mieux vaut assurément faire un point avec un fiscaliste pour en appréhender les conséquences, compte tenu de sa situation personnelle et familiale ainsi que du niveau de rémunération. Mais pour les Français, les juristes laissent entendre que l’incidence est faible. Dans certains cas, payer une partie de ses impôts en France serait même plus intéressant pour les gros revenus et les ménages avec enfants. À étudier donc en sachant qu’à compter de 2023, télétravailler sera également plus « simple ».
Des freins sont levés
Actuellement, dès lors que le nombre de jours de télétravail maximal est dépassé, les entreprises luxembourgeoises ont l’obligation de déclarer mensuellement la rémunération imposable en France et de prélever pour le compte du Trésor public français. Cela se traduit par du travail supplémentaire, des frais et une forme d’instabilité juridique en cas d’erreur. À compter du 1er janvier 2023, dans le cadre de la Loi de Finances, la procédure pour les employeurs luxembourgeois passera par une simple déclaration annuelle du montant de la rémunération imposable en France. « Le paiement de l’impôt sur le revenu dû en France s’effectuera donc par prélèvement sur le compte bancaire du contribuable, selon le mécanisme de l’acompte contemporain. Pour résumer, le dispositif est fortement allégé ce qui permettra de télétravailler davantage, avec plus de souplesse », précise Isabelle Rauch, la députée de la 9e circonscription de Moselle, qui a œuvré pour obtenir cette « levée du verrou fiscal ».
Sécurité sociale, la barre des 25 %
Est-ce à dire qu’il va être possible de télétravailler sans limites ? Non, si les patrons luxembourgeois y sont favorables, bien entendu, cela permettra de télétravailler une cinquantaine de jours par an. Pas davantage – sans que cela n’entraine d’autres démarches – car il importe de rester dans les clous en ce qui concerne la sécurité sociale. La règle européenne dit qu’un salarié est affilié à la sécurité sociale de son pays de résidence, s’il exerce 25% de son activité dans cet État membre (depuis la crise sanitaire, ce quota est ponctuellement « gelé »). Comprendre que dès lors qu’un frontalier dépasse une cinquantaine de jours télétravaillés, l’entreprise luxembourgeoise qui l’emploie doit l’affilier à la sécurité sociale de son pays de résidence et s’acquitter de toutes les cotisations sociales : chômage, retraite, allocations familiales, invalidité, maladie… Ce qui, là encore, est un « casse-tête » qui coûte cher aux entreprises. De plus, cela remet en cause certains avantages pour le salarié. S’il est affilié à la sécurité sociale française, il cotise en France pour sa retraite et il ne peut plus bénéficier des (généreuses) allocations familiales luxembourgeoises, par exemple. Il n’est pas possible de « panacher » comme c’est le cas pour les impôts.
Vers deux jours de télétravail par semaine ?
Mais sur ce volet aussi, des évolutions se précisent. La ministre des Finances, Yuriko Backes, a évoqué à plusieurs reprises, la possibilité de passer ce seuil social de 25 à 41%, ce qui permettrait donc de télétravailler environ deux jours par semaine, une durée qui correspond à ce souhaite la majorité des salariés, frontaliers ou pas d’ailleurs. Le « tout télétravail » ne fait pas partie des revendications. Le Grand-duché a entamé des négociations avec les pays voisins pour avancer sur ce sujet. Même si tout cela se fait dans la discrétion, on sait que la France est au diapason. « Nous allons avancer plus franchement sur ce point dans les prochains mois », confirme Isabelle Rauch « il y a des solutions, notamment via des accords bilatéraux, mais nous nous inscrivons dans un cadre bien précis, il est donc nécessaire de respecter toute une procédure, d’avancer étape par étape et de mobiliser beaucoup d’expertise afin d’aboutir à une solution qui soit solide et pérenne ». Pour l’heure, aucun calendrier n’a encore filtré.
Le bon équilibre
Si le carcan entourant le télétravail frontalier se desserre un peu, il importe de veiller à ce que cette flexibilité s’accompagne de sérénité. Cela implique notamment le déploiement d’outils qui permettent aux entreprises comme aux travailleurs frontaliers d’attester qu’ils respectent bien les règles, en conformité avec les exigences fiscales et sociales en vigueur. L’évolution du télétravail est aussi liée aux positions qu’adopteront les entreprises (au sein desquelles le télétravail peut être envisagé). Dans un document (avis 2022) récemment publié, intitulé « Les leçons spécifiquement luxembourgeoises à tirer de la crise sanitaire de la Covid-19 », le Conseil économique et social insiste sur la nécessité de parvenir à un bon « dosage » afin de soutenir l’attractivité du Luxembourg en matière d’emploi tout en ménageant son économie (voir ci-contre).
Le Luxembourg en quête du bon dosage
Dans son avis relatif aux leçons à tirer de la crise sanitaire pour le pays, le Conseil économique et social évoque la question du télétravail frontalier. Pourquoi il convient de le faciliter tout en l’encadrant.
« Parmi tous les pays européens, le Luxembourg se trouve, avec 57%, en première position en matière de ‘télétravaillabilité’ : plus de la moitié des salariés effectue un travail qui peut aussi être effectué à distance », explique le Conseil économique et social (CES). Nul doute que la crise sanitaire a changé la donne en la matière. Le télétravail s’impose comme une véritable forme de travail alternative. « 53% des frontaliers français, 42% des frontaliers allemands et 43% frontaliers belges préfèrent travailler à domicile », indique le CES évoquant l’enquête de la Chambre des salariés « Quality of Work Index Luxembourg ».
Pour le CES, le développement du télétravail aurait des répercussions sur l’économie locale qu’il importe d’appréhender. En supposant que les 200.000 personnes (résidents et frontaliers), en mesure de télétravailler, télétravaillent en moyenne une fois par semaine, le chiffre d’affaires du commerce local (et restaurants) reculerait d’environ 350 millions d’euros par année (selon l’HORESCA, cité par le CES). S’y ajoute l’impact sur les finances publiques et sur le budget de l’État compte tenu des conventions bilatérales convenues avec les pays voisins (sur le télétravail).
Cela dit, le CES le souligne aussi : 200.000 personnes qui télétravaillent pour reprendre l’exemple précédent, cela a, aussi, des effets positifs sur l’environnement et la mobilité. Et ce n’est pas un détail en matière d’attractivité. « Il devient plus facile pour un jeune talent bien formé qui habite Metz de chercher un emploi sur Paris avec trois jours de télétravail et deux jours de trajets en TGV, que de s’arranger avec les conditions luxembourgeoises », précise le CES.