Inspiré du batik indonésien, industrialisé en Europe, adopté par l’Afrique et devenu étendard d’un monde métissé: le wax, ce tissu coloré avec des dessins pleins d’humour et de messages sociétaux passionne jusque dans la haute couture.
“C’est un tissu engagé. Porter du wax est toujours un message. C’est l’histoire sociale de l’Afrique qui se raconte à travers le dessin (…), c’est une manière de comprendre les sociétés”, explique à l’AFP l’anthropologue Anne Grosfilley, qui vient de publier le livre “Wax. 500 tissus” (La Martinière) et de collaborer avec la maison Dior pour le dernier défilé à Marrakech fin avril.
Avec le dessin alphabet, par exemple, ce tissu raconte l’histoire coloniale: “à l’époque on portait l’alphabet pour montrer qu’on faisait partie de la nouvelle génération des personnes lettrées. Aujourd’hui cela peut être aussi une forme de revendication: avec Boko Haram, toutes les petites filles n’ont pas accès à l’école”, raconte Anne Grosfilley qui s’intéresse depuis 25 ans à la mode africaine et à l’histoire du wax.
– Ongles et sac –
Les femmes africaines utilisent les dessins du wax “comme les supports de communication non verbale”. Le motif “Z’ongles de Madame Thérèse” évoque Thérèse Houphouët-Boigny, l’épouse du premier président de Côte d’Ivoire qui aurait promis de défigurer à mains nues la supposée maîtresse de son mari.
Le dessin “dévaluation”, avec des billets du franc CFA, a retrouvé une résonance particulière à partir de 1994 après la décision de la Banque de France de diviser par deux la valeur de cette monnaie d’échange en vigueur dans 14 pays d’Afrique. Les femmes africaines portaient des pagnes avec ce motif pour montrer qu’elles se sentaient méprisées et dévaluées en tant que personnes.
Parmi les derniers best-sellers, le wax appelé “Sac de Michelle Obama” reproduisant une pièce de maroquinerie du luxe française portée par l’ex-première dame américaine, admirée pour l’ascension sociale qu’elle représente.
Le tissu à travers lequel les femmes expriment leurs espoirs et leurs colères a intéressé la directrice artistique de Dior, l’Italienne Maria Grazia Chiuri, une féministe engagée, qui l’a mis en valeur dans sa dernière collection croisière 2020.
Dior et atelier des réfugiés
Le motif des oiseaux en vol inspiré des tissus portés par Miriam Makeba, chanteuse et militante politique sud-africaine, a été retenu pour la collection croisière 2020 de Dior.
“L’idée était de ne surtout pas travailler avec des dessins préexistants”, explique Anne Grosfilley qui a visité avec Maria Grazia Chiuri l’usine Uniwax à Abidjan, “la seule à avoir une parfaite traçabilité africaine: coton cultivé en Afrique filé et tissé au Bénin et imprimé en Côte d’Ivoire”.
Même si les créateurs français Jean Paul Gaultier et Agnès B ou la maison britannique Burberry ont déjà utilisé le wax dans leurs collections, la démarche de Dior “est totalement unique”.
“C’est la première fois qu’on a travaillé avec le wax made in Africa, avec les Africains qui ont créé de nouveaux dessins en réinterprétant les codes Dior” comme la toile de Jouy ou les cartes du tarot, souligne l’anthropologue. “Un tissu considéré comme africain est aussi luxueux que d’autres matières du luxe italiennes ou françaises utilisées par la maison Dior”.
Soucieuse d’éviter le piège de l’appropriation culturelle, Maria Grazia Chiuri a ouvert son défilé dans les ruines d’un vieux palais de Marrakech avec une création signée par le designer africain Pathé’O qui avait remis le wax à la mode en Afrique à la fin des années 80.
N’étant pas originaire d’Afrique et n’ayant pas d’ancrage dans un pays spécifique, le wax “a cette force fédératrice panafricaine. Tous les Africains, les afro-descendants et les diasporas s’y reconnaissent” et les stars planétaires comme Beyoncé ou Rihanna l’ont porté.
Le véritable wax avec “ses parfaites imperfections qui n’a ni envers ni endroit” ne représente toutefois que 5% du marché inondé de copies fabriquées en Asie par impression simple, à un moment où le tissu est énormément à la mode en Occident et en Afrique.
“Vrai ou faux, les gens essaient toujours de dire quelque chose avec le wax”, souligne l’anthropologue, qui porte un manteau avec une doublure à motifs wax confectionné dans l’atelier “Talking hands”, à Trevise, en Italie, par des migrants en attente de régularisation.