Marc Chagall, Henry Moore, Fernand Léger: en près de huit décennies, le siège des Nations unies à New York a accumulé de précieuses oeuvres d’art, de la part d’Etats et de particuliers, faisant de l’enceinte une étape méconnue mais attrayante de la Grosse Pomme.

Dans ce coeur de la diplomatie internationale, qui abrite des réunions de crises cruciales pour la marche du monde, l’histoire et la géopolitique s’explorent aussi à travers quelque 400 oeuvres. Autant de chefs-d’oeuvres offerts par 150 des 193 pays membres. “Nous ne sommes pas un musée », prévient néanmoins Werner Schmidt, le fonctionnaire chargé de superviser cette collection, que les touristes pouvaient partiellement visiter avant la crise du Covid, mais qui reste fermée pour l’instant aux regards extérieurs.

À l’image de l’ONU, née en 1945 pour oeuvrer à la paix, ses collections sont l’expression de moments historiques, de tendances artistiques et des particularités des pays donateurs. Certains d’entre eux ont cessé d’exister, comme l’Allemagne de l’Est, la Yougoslavie ou l’Union soviétique, tandis que d’autres ont vu le jour.

Guerre et Paix

Parmi les oeuvres les plus spectaculaires, figurent Guerre et Paix de l’artiste brésilien Candido Portinari. Ces peintures murales encadrent l’entrée menant à l’Assemblée générale, le coeur de l’Organisation. “À l’entrée, les délégués voient un paysage de guerre et de désespoir, et à la sortie, un monde en paix et en harmonie », explique M. Schmidt. Une allégorie de l’objectif de l’ONU: régler les différends par le dialogue.

Marc Chagall s’était lui-même rendu à l’ONU en 1964 pour livrer sa Fenêtre, une peinture sur verre aujourd’hui endommagée. Elle est le fruit d’une collecte effectuée par les fonctionnaires onusiens, après la mort de l’un de ses plus emblématiques secrétaires généraux, Dag Hammarskjöld, et de quinze collaborateurs, dans le crash d’un avion volant vers le Zaïre, à l’époque, en 1961. Son admiration pour M. Hammarskjöld a également conduit le sculpteur Henry Moore à faire don de sa Figure couchée, exposée dans les jardins de l’ONU. Une oeuvre monumentale de l’artiste britannique Barbara Hepworth, rare femme représentée, se distingue aussi.

Oasis d’or

Le fonds comprend aussi une scène quotidienne d’une oasis du désert saoudien en or massif, cadeau de l’Arabie saoudite, ainsi qu’un palmier en or avec bouquets de perles en guise de dattes, un don du Bahreïn. Des pièces africaines, un gigantesque vase chinois, des meubles de designers renommés et une tapisserie décrivant les horreurs de l’explosion de la centrale nucléaire de Tchernobyl enrichissent la collection.

D’autres oeuvres racontent un moment du pays qui les ont offertes, comme L’homme qui se lève de l’ancien sculpteur est-allemand Fritz Cremer, qui devait refléter le succès du régime communiste mais a suscité l’hostilité des intellectuels du pays. Un peu plus loin, se trouve la sculpture monumentale Saint-Georges et le dragon, offerte par l’Union soviétique, et construite à partir de douilles de missiles nucléaires. Ou encore la reproduction de la tablette métallique, ou “gerege“, un passeport à l’époque de Gengis Khan qui assurait certains privilèges à ses détenteurs.

L’amphithéâtre de l’Assemblée générale est flanqué de deux fresques abstraites du peintre Fernand Léger. Aux yeux du président américain de l’époque, Harry Truman, elles ressemblaient à “du bacon et des oeufs” et à “un lapin sorti d’un chapeau”. Personne n’a jamais osé le contredire, se souvient Werner Schmidt. Les États-Unis n’ayant pas accordé de visa à Fernand Léger pour les peindre sur place, le peintre français s’était tourné vers d’autres mains pour réaliser ses tableaux. Un cadeau de Nelson Rockefeller, grand mécène de l’ONU. Ses héritiers ont récemment repris une tapisserie qui était prêtée, représentant le Guernica de Pablo Picasso. Elle avait présidé pendant des décennies l’entrée du Conseil de sécurité, pour rappeler à ses délégués les conséquences des conflits armés.

Tout pays peut faire don d’une oeuvre. “Il faut que ce soit un art qui ne dérange pas les autres pays, qui parle à tout le monde dans le même langage positif », conclut M. Schmidt.