Chassez le culte de la minceur, il revient au galop ! Le triomphe du mouvement body positive, qui a contribué à rendre la mode (un peu) plus inclusive, n’aura pas suffi à envoyer la fameuse taille 0 au tapis. Au contraire, elle fait même un retour remarqué sur les podiums, porté par les esthétiques Y2K et ‘héroïne chic’, comme par la nouvelle obsession de certaines icônes et influenceuses mode d’afficher une silhouette skinny. Explications.
En seulement deux saisons, la planète mode est parvenue à replacer la minceur, sinon la maigreur, au centre de toutes les attentions… À moins que cette dernière n’ait jamais vraiment quitté les podiums. La présence d’un plus grand nombre de mannequins dits ‘plus size’ ces dernières années a – presque – fait oublier l’omniprésence de modèles taille 0 – correspondant à un 32 au Luxembourg – qui semble s’être encore accentuée lors des dernières semaines de la mode. Un phénomène qui n’est pas sans lien avec le retour des Y2K dans la mode, et encore moins avec les silhouettes (très) amincies affichées par des mannequins et influenceuses suivies par des dizaines de millions de personnes à travers le monde. Certains s’alarment déjà des répercussions induites par ce potentiel retour en force de l’apologie de la minceur.
Une silhouette retoquée
Retour en mai 2022. À l’occasion du très couru Met Gala, Kim Kardashian s’exhibe dans une robe historique portée quelques décennies plus tôt par Marilyn Monroe. Une pièce d’exception dans laquelle la star de télé réalité s’est glissée après avoir perdu 7 kilos en seulement trois semaines, comme elle l’a confié elle-même. Une perte de poids fulgurante qui n’a pas manqué de déclencher l’ire des internautes. Kim K. ne s’est pas arrêtée là, puisqu’elle affiche depuis, comme sa sœur Khloé, une nouvelle silhouette, beaucoup plus amincie. Exit les formes qui ont contribué à la renommée de l’Américaine, et ont inspiré moult jeunes femmes, place à une silhouette totalement redéfinie, et bien plus skinny. L’ère de la bimbo 2.0 est-elle révolue ? Difficile de répondre, mais force est de constater qu’une injonction en chasse toujours une autre.
Cet événement inattendu est intervenu au moment même où la mode semblait aux prémices d’un changement de taille, avec l’émergence d’une certaine diversité sur les podiums. Tandis que deux géants de la mode – Kering et LVMH – ont signé dès 2017 une charte excluant les mannequins taille 32 ou âgées de moins de 16 ans, le triomphe du mouvement body positive a permis de voir apparaître ces dernières années des mannequins plus size tant sur les catwalks que dans les campagnes publicitaires. Une petite révolution dans une industrie encore dominée par une foule d’injonctions. Mais ces avancées pourraient être réduites à néant – ou presque – si elles excluent la majorité des femmes, qui ne font ni une taille 32, ni une taille 50, et plus encore si elles sont stoppées par un retour à la minceur extrême. Un constat fait lors de la Fashion Week consacrée à la saison printemps-été 2023, organisée en septembre dernier.
L’avènement des années 2000
Impossible d’être passé à côté du phénomène. Courant 2021, les Y2K se sont imposées comme les nouvelles stars de la mode, rendant ses lettres de noblesse à moult vestiges des années 2000 : taille basse, micro-jupe, string apparent, crop top, et autre mini-short. Des vêtements, il faut le reconnaître, peu enclins à embrasser le concept même de body positivisme. Né sur les réseaux sociaux, l’engouement pour les Y2K n’a pas tardé à investir les podiums, et à sonner le grand retour de la taille 0. Les plus grandes maisons de mode, parmi lesquelles Givenchy, Coperni, ou encore Miu Miu, pour ne citer qu’elles, ont fait couler beaucoup d’encre pour avoir fait défiler des mannequins filiformes, à l’instar de Bella Hadid ou Kaia Gerber, entre autres. Un phénomène qui alerte, et qui n’est pas sans rappeler que l’inclusivité est loin d’être acquise dans l’industrie de la mode.
Alexandra Van Houtte, fondatrice de Tagwalk, moteur de recherche spécialisé dans la mode, a récemment confirmé la tendance au New York Times, révélant que “plus de la moitié des défilés de la [dernière] semaine de la mode n’avaient toujours pas de mannequins ne faisant pas une taille 0 ou 2”. Un constat qui confirme un retour – ou l’omniprésence – des mannequins ultra minces sur les podiums. Ce n’est pas tout, puisque la cheffe d’entreprise a également précisé que la base de données du moteur de recherche ne comptait à ce jour que trois mannequins midsize – dont la taille est comprise entre 42 et 44 – alors qu’elles représentent entre autres la majorité des Françaises, si l’on se base sur la dernière campagne de mensuration nationale organisée par l’Institut français du textile et de l’habillement (IFTH).
En novembre 2022, c’est le New York Post qui mettait en avant ce retour au culte de la minceur avec un article intitulé “Bye-bye booty : Heroin chic is back”. Il s’agissait alors d’évoquer la fin d’une ère, celle faisant l’éloge des fesses proéminentes, au profit d’une autre basée sur une silhouette filiforme, voire squelettique. Car les termes ‘héroïne chic’ renvoie à une esthétique grunge née dans les années 90, faisant référence à des mannequins au look androgyne, au teint pâle, et au regard cerné – et souvent associée à Kate Moss. Une esthétique surtout controversée si l’on considère qu’elle a été – et est toujours – associée à la drogue et aux troubles du comportement alimentaire.
Un article qui a fait réagir l’actrice et activiste féministe Jameela Jamil : “Je suis de la génération de la première vague de ce phénomène. Nous ne nous en sommes jamais complètement remis. J’ai perdu deux décennies de ma vie. Je vous supplie de rejeter violemment ceci, et de rejeter toute personne, tout magazine ou tout média qui participe à la propagation de cet enfer”. De quoi rappeler les conséquences qu’a pu avoir l’éloge d’une telle esthétique, et plus encore celles de la popularisation de toute tendance qui mettrait l’accent sur telle morphologie plutôt qu’une autre. Le body positivisme, autrement dit l’acceptation de tous les corps humains, semble plus que jamais nécessaire pour faire voler en éclats les nombreuses injonctions qui entourent – toujours – les mondes de la mode et de la beauté.