Le nom de cette conférence interministérielle sonne comme une banalité. Elle a eu lieu le 20 juin 1942 dans une villa aux bords d’un lac de Berlin pour coordonner et décider des mesures à mettre en place en amont en matière de solution finale du peuple juif. Elle symbolise la banalisation de l’horreur exécutée par des fonctionnaires zélés et méticuleux d’un régime dont un des buts était la domination du monde par la race aryenne. Elle passait par la voie de l’anéantissement déclaré et programmé de toute vie et culture juive.

Texte : Cadfael

Une demande de Goering

En 1942, les camps de concentration du Reich étaient une machine bien huilée qui fournissait de la main-d’œuvre, des « troupeaux d’esclaves » selon Primo Levi, à l’économie de guerre allemande tout en détruisant ceux qui aux yeux du régime ne servaient plus à rien ou qui étaient considérés comme des « nuisibles » selon la terminologie nazie. Dans ce cycle de la mort industrialisée et programmée, la conférence du Wannsee tient une place particulière. La réunion ultra-secrète, à laquelle participaient 15 fonctionnaires, dirigeants de divers ministères et agences de sécurité présente par son ordre du jour unique, « la solution finale », un changement de paradigme. Cet acte de management froid et technique souligne une descente hors normes d’une partie d’un pays civilisé, l’Allemagne, vers une cosmogonie d’où toute valeur humaniste avait disparu. On veut passer des exécutions de masse à une industrialisation de la mort à grande échelle. La question de la « solution finale » euphémisme du jargon nazi pour définir l’élimination de population juive était chose décidée et tenue secrète pour des raisons d’image de marque du régime de Belin. Elle était appliquée dans les camps depuis 1937, incluant avec les Juifs, les Roms, communistes, prêtres catholiques et francs-maçons.  

Diligentée suite à la volonté de Goering qui en 1941 avait demandé un « projet global sur les mesures à prendre en amont afin d’atteindre l’objectif de la solution finale des juifs », la réunion du Wannsee était présidée par Heydrich, grand patron et des SS et des services de répression et de sécurité, qui avait fait de la question juive et du génocide systématique un de ses axes de travail. 

Les exécutions avaient débuté en 1941 avec l’invasion de la Pologne, majoritairement par balles par des « Einsatzkommandos » et par des bataillons de police dans les territoires conquis à l’Est. Elles étaient considérées comme trop coûteuses et inefficaces. À la date de la conférence, plus d’un demi-million de personnes avaient déjà été liquidées.

De hauts fonctionnaires dévoués

Ce monde de hauts fonctionnaires triés au volet se retrouvait sous la présidence de Heydrich, le compte rendu était fait par Eichmann figure clef du l’holocauste. (En 1960 un commando israélien  l’enlèvera en Argentine pour être jugé en Israël. Condamné à mort il sera pendu en 1962.) Le but de la conférence était de mettre au point et de coordonner la destruction de toute trace de judaïsme au sein des frontières de l’Allemagne nazie et du monde conquis. Il s’agissait ni plus ni moins d’une « restructuration raciale de l’Europe ». À la lecture du compte rendu, on s’aperçoit que des questions fondamentales décidant de la vie et de la mort de millions de personnes étaient traitées avec acribie comme s’il s’agissait de gestion de matériel et non d’êtres humains. Selon Eichmann cela se passait dans une ambiance joyeuse. On peut y lire qu’une des options possibles était de faire « marcher les juifs en colonnes vers les territoires de l’Est en leur faisant construire des routes, où sans aucun doute la plus grande partie disparaîtra du fait d’un affaiblissement. Enfin le solde restant sera à traiter en conséquence. Il ne pourra être libéré, car comme ce sont les plus résistants ils constitueront le noyau de départ d’une nouvelle colonisation juive, »/…/ « L’Europe sera ratissée d’ouest en est ».

Un tableau comptabilise les personnes juives concernées et arrive à un total de 11 millions. On y trouve des pays non envahis à l’époque par la Wehrmacht comme la Suisse, la Suède, l’Espagne ou le Portugal.

Suivent des classements de citoyens juifs en diverses catégories et le traitement à leur appliquer : les métis au premier et au second degré avec des sous classifications selon des critères d’apparence ou de comportement. Il en va de même avec des juifs mariés à des Allemands. Selon des témoins, la réunion se passait dans une sorte d’enthousiasme dans lequel les divers participants tentaient de se surpasser les uns les autres. L’ordre du jour était accompli en deux heures !

Si j’étais Dieu…

La conférence du Wannsee pose un périmètre de dimension européenne à l’horreur. L’enfer qu’elle engendrait fabriquait selon Primo Levi « un homme dont on pourra décider de la vie ou de la mort le cœur léger, sans aucune considération d’ordre humain, si ce n’est, tout au plus, le critère d’utilité. » Elle est le témoin de ce que des fonctionnaires zélés, sans âme, arrivent à faire en se dépassant mutuellement d’obséquiosité, en vue de faire fonctionner une machine industrielle à déshumaniser et à broyer l’homme.

Parmi les nombreuses attitudes possibles face à cette spirale d’un enfer de fabrication humaine ou même l’espoir était un luxe, citons celle de Primo Levi dans « Si c’est un homme » : « Kuhn est en train de prier, à haute voix/…/. Kuhn remercie Dieu de n’avoir pas été choisi. Est-ce qu’il ne sait pas Kuhn, que la prochaine fois ce sera son tour. Est-ce qu’il ne comprend pas que ce qui a eu lieu aujourd’hui est une abomination qu’aucune prière propitiatoire, aucun pardon, aucune expiation des coupables, rien enfin de ce que l’homme a le pouvoir de faire ne pourra jamais plus réparer ? Si j’étais Dieu, la prière de Kuhn, je la cracherais par terre. »