Depuis 2010, Geneviève Krol est à la tête de Fairtrade Luxembourg. Elle porte les combats et les engagements de l’ONG, en quête d’un monde plus juste et durable pour les producteurs et les travailleurs d’Afrique, d’Américaine latine et d’Asie. Fairtrade Luxembourg fête d’ailleurs ses 30 ans d’existence. L’occasion de faire, avec sa directrice, un état des lieux de la consommation équitable au Luxembourg.

Quand et comment avez-vous rejoint Fairtrade Luxembourg ?

J’ai rejoint Fairtrade Luxembourg en 2006. J’ai intégré l’ONG très rapidement après mes études. Je suis diplômée d’une École de commerce en France et j’ai également un diplôme de marketing obtenu en Allemagne. J’ai donc un profil assez atypique pour une ONG. Très vite, après avoir réalisé mes stages obligatoires en commerce, j’ai compris que je ne souhaitais pas me lancer dans cette voie, celle d’un commerce injuste et inéquitable. À mes débuts, j’ai cherché à mettre en pratique ce que j’avais appris en École de commerce aussi bien au niveau du marketing, de l’événementiel, de la communication, de finance et de la gestion, au service d’un commerce équitable. J’ai eu énormément de chance de trouver un poste de ce type. C’est en réalité mon premier vrai travail.

Quel est votre rôle au sein de Fairtrade Luxembourg ?

Depuis 2010, je suis à la tête de l’ONG. Ma mission première est de porter les actions de Fairtrade Luxembourg auprès de nos partenaires. Je m’occupe également de la gouvernance et de la gestion de la structure. Je me suis aussi spécialisée dans la gestion et la création de partenariats avec des entités luxembourgeoises, des partenariats médiatiques. Je gère aussi tout le travail des plaidoyers politiques. Ce sont mes trois missions principales.

Quelles sont les missions de Fairtrade Luxembourg ?

Le travail de Fairtrade Luxembourg repose sur la création d’un monde équitable, c’est-à-dire nous souhaitons contribuer à un monde qui soit plus juste et durable pour les producteurs et les travailleurs d’Afrique, d’Américaine latine et d’Asie. Nous souhaitons que ces derniers puissent vivre dignement de leurs productions et de leur travail. Nous pensons que chacun a le droit à une rémunération équitable qu’il soit ici au Luxembourg ou au Congo. Nous espérons créer des relations équitables au niveau économique. Nous luttons réellement pour cette justice sociale qui est naturellement accompagnée d’une justice environnementale. Nous avons trois standards : économiques, sociaux et environnementaux.

L’ONG vient de fêter ses 30 ans, quel est l’état des lieux de la consommation équitable au Luxembourg ?

Effectivement, cette année, nous fêtons nos 30 ans d’existence. C’est un grand moment. Cela fait 30 ans que des pionniers ont mis à germer la petite graine du commerce équitable au Luxembourg. En 30 ans, il y a eu une très belle évolution. Aujourd’hui, nous sommes sur des produits phares comme le café où nous avons 10% de part de marché. Ce qui était inconcevable il y a 30 ans. Lorsqu’on en parlait à des responsables de supermarchés, ils n’y croyaient pas du tout. C’est une grande satisfaction. Néanmoins, il reste toujours 90 %  de part de marché aux gros du secteur. C’est ce qui nous interpelle le plus. D’un côté il y a des succès, avec le café mais aussi la banane (environ 30 % de part de marché) mais il y a encore une marge de progression. Les roses restent le produit où la part de marché est la plus importante (50 %). Il y a une prise de conscience, on le voit de plus en plus.

Cela a été une de nos craintes lorsque le Covid-19 est arrivé. Nous nous demandions si les gens allaient encore être concernés par la consommation équitable et durable. En 2021, nous avons été contactés par de nombreux partenaires qui souhaitaient s’associer à notre mouvement, ce qui est très valorisant et motivant. Mais cela reste un long combat. J’espère, compte tenu des défis qui nous attendent (hausse du prix du carburant, perte du pouvoir d’achat…), que le consommateur va continuer de consommer équitablement et durablement. J’espère aussi que les coupes budgétaires ne vont pas impacter le panier alimentaire des consommateurs. C’est notre plus grosse crainte, actuellement. Il en est de même pour les producteurs.

Nous avons eu la chance d’accueillir tout récemment un producteur de café du Congo. En conséquence de la crise du Covid-19 combinée à la guerre en Ukraine, il a perdu 50 % de ses ventes. C’est à nous derrière de motiver. Mais comme vous le savez, le secteur de l’Horesca a été énormément touché et il peine à retrouver son niveau d’avant. Cela a d’énormes conséquences sur les produits Fairtrade à travers le monde.

Qu’est-ce que cela change d’acheter Fairtrade ?

Il faut savoir que les producteurs qui font partie du mouvement Fairtrade sont regroupés au sein de coopératives qui sont gérées de manière démocratique. Ces producteurs reçoivent un prix qui couvrent leurs coûts de production, c’est ce que l’on appelle le prix équitable. C’est un prix plancher. Le producteur a donc la garanti d’avoir au minimum ce prix-là. La fluctuation en bourse n’a aucune conséquence sur le revenu des producteurs. Le prix s’adapte seulement si le cours est en hausse. C’est le cas pour le café en ce moment.

Ce prix minimum Fairtrade apporte une sécurité et une stabilité aux producteurs qui leur permet d’avoir accès à des micro-crédits pour pouvoir investir dans leur habitation, dans l’éducation de leurs enfants. Au niveau économique, c’est une énorme tranquillité. Les producteurs reçoivent aussi une prime de développement, celle-ci est gérée de manière démocratique lors des assemblées générales des coopératives et elle est investie dans des projets de développement (financement d’un enseignant pour l’école communale, rénovation du centre de santé…).

Si je prends l’exemple du producteur du Congo, lui et d’autres membres de la coopérative ont récemment créé un programme pour lutter contre l’érosion des sols. Ils ont mis en place une pépinière, grâce à la prime Fairtrade, pour faire pousser des arbres. Ainsi, chaque enfant de la coopérative Fairtrade reçoit cinq arbres. Ces derniers doivent être plantés aux abords des parcelles afin de permettre une régénération des sols. Au Congo, il y a aussi énormément de conflits entre les ethnies. La coopérative, pour aplanir les tensions, a payé la scolarité à cinq enfants de la tribu des Pygmées. Ce sont des exemples très concrets qui prouvent que la prime Fairtrade est utilisée pour des projets divers.

Dans le système Fairtrade, les producteurs doivent aussi respecter l’environnement et avoir mis en place une politique de gestion durable de l’eau, une politique durable de gestion des déchets. Nous accompagnons les membres sur ce volet environnemental pour lutter contre le réchauffement climatique.

Le commerce équitable peut-il agir sur le réchauffement climatique ?

Oui, absolument. Le pilier environnemental est le moins connu du grand public. Mais nous avons des standards très élevés en termes d’environnement. Aujourd’hui, les coopératives investissent beaucoup afin d’apporter une réponse aux producteurs pour lutter contre le réchauffement climatique. Ces derniers sont beaucoup plus confrontés que nous à ce grand défi climatique.

Quels sont vos projets ?

Dans le cadre de notre trentième anniversaire, nous avons lancé plusieurs projets dont un qui se nomme le Fairtrade Wall. Nous avons sollicité des partenaires au Luxembourg pour illuminer des murs anciens dans des communes ou dans des administrations. Des artistes mettent ainsi en avant des visages de producteurs et de productrices. Les passants peuvent dores et déjà observer deux Fairtrade Wall, l’un à Differdange et l’autre à Esch-sur-Alzette. Un conte pour enfants va également être publié à la rentrée, il s’appelle La plume magique. Nous sommes en train de finaliser les illustrations. Dans le cadre de notre anniversaire, nous motivons également nos partenaires à lancer des nouveaux produits de marque luxembourgeoise avec des matières premières Fairtrade. Récemment, des grandes entreprises comme Luxlait ont introduit des matières premières Fairtrade comme le cacao et le sucre dans certains de leurs produits.

Nous allons continuer, dans les prochaines années, à chercher ce genre de partenariats. Naturellement, nous poursuivons la sensibilisation auprès des communes et des lycées. Comme un clin d’œil, nous souhaitons également valoriser les jeunes producteurs de 30 ans en Afrique, en Amérique latine et en Asie. Nous en avons déjà contacté deux de Côte d’Ivoire, ils nous ont laissés une très belle vidéo en témoignage. Ils expliquent qu’est-ce que cela signifie de vivre dans ce pays lorsqu’on a 30 ans. Sensibiliser et motiver les jeunes à reprendre l’exploitation familiale fait aussi partie de nos défis. Actuellement, il y a très peu de jeunes qui souhaitent le faire puisque c’est un énorme investissement et il n’est pas à la hauteur des rémunérations perçues.