Par Cadfael

La maîtrise de l’information et en particulier de l’audiovisuel est un enjeu capital dans l’univers des pouvoirs. Avec la montée des populismes et leur menace sur l’état de droit, le contrôle de la chaîne publique multilingue Euronews est un enjeu que Bruxelles a perdu.

Une histoire pavée de bonnes intentions

En 1990 la Guerre du Golfe a montré aux décideurs européens qu’on ne pouvait pas laisser à CNN le soin de monopoliser le paysage médiatique. Les télévisions publiques de la majorité des pays de l’Union européenne ont créé Euronews. La BBC et les chaînes publiques allemandes se sont abstenues de participer au projet. Les Suisses ont rejoint le consortium plus tard. La première émission a eu lieu en 1993 à partir d’Écully près de Lyon. En 1995, l’entreprise Alcatel Alsthom a acquis 49 % des parts pour 115 millions de francs dans une démarche typiquement française destinée à réduire la participation de l’État dans une opération déficitaire. Elle sera revendue à Reuters ITN en 1997 pour 90 millions. En 1999 un studio a été ouvert à Londres.

A l’époque, sous l’impulsion de l’Union européenne et grâce à ses subventions, les 51 % restants étaient encore détenus par les services publics européens. Après une série de changements de propriétaire temporaires impliquant des investisseurs américains, russes, ukrainiens, turcs et émiratis, c’est en 2015 que le milliardaire égyptien Naguib Sawiris a acquis 53 % des parts de l’entreprise. Les 47 % restants sont restés sous le contrôle de 21 entités publiques de radio-télévision et de trois gouvernements. Les 66 millions annuels financés par l’Union européenne ont été doublés au moment où Sawiris a pris le contrôle ! Africanews, petite soeur d’Euronews, a été fondé en avril 2016. Selon des analystes Sawiris a fini par acquérir 88% des parts d’Euronews.

Les voix de l’enfer

En 2022, avec l’aval du ministère des finances français, les cartes ont été redistribuées de manière curieuse. Résultat : aujourd’hui Alpac Capital possède 97.6, le reste étant dispersé entre ADMIC qui appartient aux dirigeants d’Abu Dhabi, SNRT au Royaume du Maroc et PBS à l’état maltais. Le fond portugais ALPAC est officiellement contrôlé par Pedro Vargas David, le fils d’un ancien eurodéputé portugais chrétien-démocrate. Il est le reliquat des aventures colombiennes et péruviennes plus ou moins problématiques des David pères et fils. Le fils est référencé comme membre du directoire d’une société hongroise proche d’Orban. Son comparse est le fils du sélectionneur de foot portugais. Dans l’équipe on retrouve également l’ex-directrice de la rédaction d’une radio catholique portugaise qui est promue présidente du conseil éditorial ainsi qu’une secrétaire d’État du nouveau gouvernement de centre droite qui leur servait de consultante.

L’archi diocèse de Braga, très proche de l’Opus Dei, lui consacre un portrait sur sa page web. Ce qui lie tout ce beau monde est d’avoir été un temps collaborateurs de Mc Kinsey et d’avoir fréquenté les mêmes universités catholiques portugaises.

« Salut dictateur » (J.-C. Juncker 2015)

Qui sont les financiers du coup de grâce de la seule chaîne publique européenne ? Un groupe de journalistes d’investigation franco-luso-hongrois (Le monde, Espresso et Direkt 36) a trouvé la réponse partielle aux financements des 150 millions nécessaires. Initialement Orban niait être impliqué dans le rachat d’Euronews. L’enquête a montré que via de canaux discrets, 45 millions d’un fonds de l’état hongrois ont transités par le fonds privé EFMI. A cela s’ajoutent 12.5 millions originaires de la principale agence hongroise de « propagande » gouvernementale. A ces 57.5 millions clairement sous l’influence d’Orban, un solde en provenance d’Alpac et des crédits bancaires auront permis de contrôler Euronews. Le fonds EFMI a ensuite été liquidé. La vente du siège iconique de Lyon et le transfert à Bruxelles mettront au chômage 150 de ses 478 collaborateurs.

Après un passage technique par une structure luxembourgeoise, le tout est transféré à une entité madrilène dont le capital est contrôlé par une holding d’Alpac Capital à Dubaï, champion de l’opacité en tous genres. Le rêve d’une chaîne européenne publique est mort. La philosophie d’Orban, grand ami de Poutine et de la Chine va être distillée au compte-gouttes via la chaîne, comme le fait déjà KESMA un conglomérat hongrois de communication très axé extrême droite. Dans un document confidentiel fuité il est dit que la Hongrie veut construire l’« outil de communication le plus influent et informatif de l’Union européenne avec comme mission de responsabiliser l’Europe » sur une voie de droite catholique conservatrice, anti LGTBQ+, anti immigration et autres fantaisies en vogue auprès de ceux qui n’ont pas encore compris que depuis 1940 (1974 pour les Portugais) le monde a changé. Africanews aura probablement un bel avenir.

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