Par Karine Sitarz

Originaire de l’ouest de la Turquie, Deniz Avcu est installée depuis quatre ans avec sa famille au Luxembourg après être passée par le continent africain. Bénéficiaire de la protection internationale, cette prof de maths qui se passionne pour tout ce qui touche à la psychologie de l’enfant travaille comme aide-éducatrice à Esch-sur-Alzette. Mère de trois jeunes enfants, Deniz, qui prône le vivre ensemble, se raconte autour d’un café partagé à la mi-mai sur une terrasse de la capitale.

Pouvez-vous vous présenter brièvement ?

J’ai grandi en Turquie, dans la région de Manisa, et j’ai fait des études de mathématiques. J’ai 38 ans et suis mère de trois enfants, un garçon de 9 ans né en Guinée et deux filles, une de 5 ans et demi, née en Côte d’Ivoire et une de 2 ans et demi née ici, au Luxembourg, où nous sommes arrivés en août 2018 et où, depuis 2020, j’ai le statut de réfugiée.  

Qu’est-ce qui a poussé la jeune fille que vous étiez vers les mathématiques ?

J’ai toujours voulu aider les autres et pour moi être enseignante était une bonne façon de le faire. Si j’ai toujours aimé les mathématiques, c’est surtout l’enseignement qui m’a attirée, pouvoir par ce biais partager un peu de la vie et être un exemple pour les jeunes.

Qu’avez-vous fait après vos études ?

J’ai travaillé deux ans dans un centre culturel turc à Saint-Pétersbourg où j’enseignais l’art ebru (ndlr : art traditionnel turc de peinture sur l’eau dit papier marbré). En 2010, année de mon mariage, j’ai rejoint la Guinée où mon mari, lui aussi professeur de mathématiques, était proviseur dans une école privée. J’y ai enseigné cinq ans puis nous avons rallié la Côte d’Ivoire où j’ai travaillé de 2015 à 2018. Mais les problèmes politiques (ndlr : la tentative de coup d’État en Turquie) ont eu des répercussions pour nous. Nous avons donc quitté la Côte d’Ivoire où nous n’étions plus en sécurité. L’Ambassade ayant refusé un passeport à ma fille et le renouvellement de celui de mon fils, nous avons dû quitter le pays par la route et avons mis cinq jours pour arriver au Sénégal. C’était dur, ma fille n’avait que 18 mois. Au Sénégal où nous avons des amis, nous sommes restés deux mois et demi, le temps d’organiser nos papiers, avant de gagner la Mauritanie puis le Cap-Vert, l’Espagne, la Belgique pour arriver au Luxembourg.

Qu’est-ce qui a été le plus difficile les premiers temps au Luxembourg ?

Vivre dans des foyers. Mon fils demandait : « Où on part maintenant ? ». On répondait : «  Nous allons dans un endroit comme un hôtel ». Arrivé au Centre de logopédie, qui faisait alors office de foyer, il nous a dit : « Pourquoi papa n’a pas trouvé un hôtel avec une piscine ? ». Il a vite vu qu’on ne vivait pas normalement. On partageait la cuisine et la salle de bains avec les autres familles. On a vécu trois ans en foyer, deux ans dans l’attente de nos papiers – nous n’avions alors pas le droit de travailler –  et un an de plus durant lequel nous avons cherché un logement. En 2020, une rencontre organisée par des volontaires de la commune de Bridel nous a mis en contact avec l’épouse du bourgmestre qui s’est dit prête à nous louer un logement, nous y avons emménagé en août 2021.

Comment avez-vous rencontré l’association Ryse ? Que vous a-t-elle apporté ?

C’est en 2020 qu’une amie m’a mise en contact avec cette association. Grâce à elle, j’ai eu un mentor qui m’a encouragée à trouver un emploi. J’ai suivi une formation pour me familiariser avec le marché du travail au Luxembourg auprès de l’association Zarabina qui travaille avec l’Adem. Aujourd’hui, je reste en contact avec Francesca de Ryse, nous avons gardé des liens amicaux et je prends conseil à chaque décision difficile. Il y a un an elle m’a mise en relation avec un réseau de crèches et de foyers de jour et début 2022, le réseau ayant ouvert de nouvelles structures, j’ai reçu un appel me demandant si je voulais toujours travailler avec le groupe. Une note d’espoir alors que ce matin de janvier j’étais sortie de l’appartement en oubliant les clés à l’intérieur ! Depuis que je suis ici, à chaque fois que je suis au plus bas, il y a une bonne nouvelle qui tombe !

Comment est votre vie aujourd’hui ?

Depuis février, je travaille comme aide-éducatrice dans un foyer de jour privé, pour enfants de 3 à 12 ans, à Esch-sur-Alzette. J’adore les enfants et ce travail me plaît. Quand mes enfants seront plus grands, je suivrai une formation d’éducatrice et en attendant je vais apprendre le luxembourgeois. Mon mari et moi sommes contents d’être ici, nous voulons rester, nous adapter, nous intégrer et donner l’exemple à nos enfants. En même temps, nous voulons protéger nos valeurs, garder notre identité, notre culture – par exemple mes habits traditionnels sont précieux pour moi – et faire que nos enfants grandissent aussi avec ces valeurs.

Quels liens gardez-vous avec votre pays natal ?

Nos proches vivent en Turquie où nous ne pouvons aller pour l’instant, ça nous manque. Ma mère ne connaît pas ma petite fille et la dernière fois qu’elle a vu mon fils, il n’avait que 2 ans et demi. Les grands-parents manquent aussi dans la vie des enfants. Heureusement, ils pourront désormais nous rendre visite, car nous avons un travail. Nous restons proches de la Turquie à travers des amis et l’association Turkuaz. Mes enfants sont eux aussi contents d’avoir des activités avec des amis turcs. Mais, si à la maison, nous parlons le turc, je les encourage à apprendre les langues du pays.