Les surfaces maritimes, lignes de communication vitales de l’économie mondiale, sont devenues des dépotoirs et des zones de quasi non droit. Des bateaux fantômes remplis de produits hautement polluants hantent les mers, ignorés du grand public.

Par Cadfael

Un nouveau business gris

Le 23 mars l’agence Reuters soulignait la croissance rapide de la flotte de pétroliers fantômes dont la raison d’être est essentiellement le contournement des sanctions qui touchent la Russie, l’Iran et le Venezuela. Le nombre de bâtiments transportant du pétrole sous embargo dans ces marchés parallèles et opaques n’a fait que croitre depuis la guerre d’Ukraine. Les analystes maritimes soulignent qu’en prévision des sanctions la Russie se serait doté via des intermédiaires d’un flotte clandestine considérable composée de tankers achetés d’occasion. Le transport du brut russe vers les marchés asiatiques et indiens via la Baltique et la Mer Noire a eu comme conséquence que le prix des tankers d’occasion explose. Leur coût d’acquisition a doublé depuis deux ans. Normalement un pétrolier est décommissionné au bout d’une quinzaine d’années et envoyé à la casse par les grandes sociétés d’armement.

Entre janvier et novembre de l’année dernière plus de deux cents bâtiments allant de 250.000 tonnes à 80.000 tonnes de plus de 15 ans d’âge ont changé de propriétaires. Les armateurs grecs et norvégiens seraient particulièrement actifs sur ce marché. Selon euractiv du 20 mars les risques d’accident seraient particulièrement élevés dans le golfe de Finlande ou naviguent des centaines de pétroliers en mauvais état technique, non identifiés, avec des assurances improbables et sous commandement d’équipages non expérimentés. Les incidents augmentent sur toutes les mers du monde, 61 en tout l’année dernière, du jamais vu. Des centaines de sociétés d’affrêtement poussent comme des champignons dans une opacité totale concernant leurs propriétaires, souvent des sociétés écran, qui en cas de pepin abandonnent le bâtiment et l’équipage a leur sort.

Le FSO SAFER et l’ONU

Avec un 1.1 millions de barils de pétrole brut a bord, le pétrolier FSO SAFER représente l’exemple extrême des zones grises du droit maritimes. Depuis le 23 mars il est sous contrôle du PNUD, le Programme des Nations Unies pour le Développement, qui intervient face au risque considérable d’une catastrophe environnementale plusieurs fois plus importante que celle de l’EXXON VALDEZ en 1989 en Alaska. Ce pétrolier monocoque construit en 1976 vieillit très mal. D’une longueurs 362 mètres pour une largeur de 70 mètres, le bâtiment est à l’abandon depuis 2015. Utilisé par la société étatique yéménite du pétrole du gaz pour servir de stockage à pétrole brut, il est ancré à huit kilomètres des côtes yéménites.

Dans ce pays en guerre civile ou 80 % de la population vit sous le minimum vital, il est tombé sous contrôle des rebelles Houthi en 2015. Ils n’autorisaient aucune visite d’experts jusqu’à l’année dernière. Ils veulent sa cargaison de 1.1 millions de barils évaluée 80 millions de dollars. Elle est également réclamée par le gouvernement en place. Remplie de gaz explosif la coque risque à tout moment de se briser. La pollution provoquée détruirait les moyens de subsistance de 1.2 millions de personnes tout en bloquant les flux de marchandises maritimes passant par la Mer Rouge et le canal de Suez, route stratégique concentrant plus de 10 % du transport maritime mondial.

Les coûts de sauvetage estimés autour de 130 millions de dollars ont été en partie collectés par du crowd funding. Le PNUD a racheté le FSO SAFER et a acquis un pétrolier d’occasion afin de stocker temporairement le pétrole transféré avant de le revendre. Une opération complexe et à hauts risques qui va débuter prochainement. Encore une petite victoire pour les organisations internationales qui fonctionnent pour défendre la paix « ce rêve suspendu ».