Jacques Rivette, un des jeunes trublions de la bande des quatre qu’il formait, quand ils avaient 20 ans, avec Jean-Luc Godard, François Truffaut et Claude Chabrol, s’est éteint à l’âge 87 ans, laissant derrière lui une formidable page de la Nouvelle Vague, ainsi qu’une poignée de films qui transcendent leur époque.

Une vie de cinéma

Il a été l’une des figures principales de la Nouvelle vague, lui donnant le top-départ avec Le Coup du berger, court-métrage réalisé en 1956, tourné en 35 mm dans la chambre de Claude Chabrol. Une histoire d’amour et d’amants, légère et sensible comme seule la Nouvelle Vague en avait la recette. Son œuvre n’a eu de cesse de se réinventer, passant d’un classicisme avéré avec La Belle Noiseuse à l’expérimentation fougueuse de Out 1: Noli Me Tangere (récemment réédité en DVD), film hors-norme dépassant les 12h, librement adapté du roman L’Histoire des Treize de Balzac. D’un style à l’autre, du naturalisme où la réalité est dépouillée de sa fantaisie,aux extravagances du psychédélisme qui métamorphose ce que nous percevons, il ne perd rien de son talent et permet toujours à l’impromptu de pénétrer dans le chant de sa caméra à tout moment. En résulte des scènes extrêmement longues, qui cherchent à capter ce qui se glisse entre les plans et que nous ne voyons jamais. Plus que des acteurs, Rivette voulait filmer les mystères qui parsèment notre monde.

Et d’art

Si on le mentionne d’abord sa carrière cinématographique prestigieuse, il ne faut pas oublier qu’il fut un critique émérite, comme ces amis Truffaut ou Godard, aux Cahiers du cinéma, avant d’en être même le rédacteur en chef de 1963 à 1965, après un putsch qui évincera Eric Rohmer du magazine. Il imprimera une ligne éditoriale moderne, qui s’ouvre aux nouveaux courants artistiques, émergeant un peu partout dans le monde. Ainsi, plus qu’une poignée de films inoubliables, c’est aussi une réflexion critique sur le médium cinématographique qui lui survivra. Résolument avant-gardiste, la volonté de découvrir et d’expérimenter influencera toujours sa création. Une œuvre mésestimée et méconnue qui mérite, avec ce coup de projecteur médiatique, d’être approchée par les néophytes comme les cinéphiles qui n’ont pas encore jeter un œil à sa filmographie.

Inventif et libre, le cinéma français tourne une des plus belles pages de son histoire avec la mort de Jacques Rivette. François Hollande a salué “l’un des plus grands cinéastes. Il a marqué plusieurs générations” et “son œuvre hors normes lui a valu une reconnaissance internationale”, a déclaré le président de la République, selon un communiqué de l’Elysée.”Cinéaste de la femme, Jacques Rivette a, à travers des films tels que Suzanne Simonin, la religieuse de Diderot, Amour fou ou La Belle Noiseuse, offert des rôles majeurs à des actrices qui sont entrées dans l’histoire du cinéma”, a également souligné le chef de l’État, adressant “ses sincères condoléances à sa famille et à ses proches”. Le monde du cinéma salue lui-aussi la disparition du maître, a commencé par d’anciennes actrices avec qui il travailla, comme sa muse Bulle Ogier et la talentueuse Anna Karina.

Etienne Poiarez