Le Centre Pompidou consacre sa grande exposition d’automne aux dernières vingt années de l’oeuvre de Francis Bacon et ses correspondances avec écrivains et philosophes: une enquête sur les fondements d’une inspiration où vie et mort s’empoignent violemment.
C’est la première exposition d’importance depuis une rétrospective en 1971 au Grand Palais. “On ne peut sortir indifférent de cette exposition”, relève le conservateur et commissaire de l’exposition, Didier Ottinger.
Hanté par la culpabilité après le suicide de son ami George Dyer, quelques jours avant le vernissage au Grand Palais, à l’issue d’années d’une liaison très orageuse, son oeuvre encore assombrie va gagner aussi en perfection, en force. Ce que l’on ressent dans les couleurs et les formes très épurées de cette seconde période de création qui va de 1971 à sa mort en 1992.
“Le réalisme pour Bacon résidait dans l’invention d’une forme capable d’abréger, de synthétiser le réel, capable d’être formulée avec la précision, la concision d’un mouvement de muleta” du matador face au taureau dans la corrida, explique Didier Ottinger.
Le thème du taureau revient dans certaines de ses toiles tardives. “Pour Bacon, l’artiste doit travailler comme un taureau, pour organiser la chaos du monde”, souligne le commissaire, livrant la clé du combat de cet artiste athée et écorché vif, qui, à l’instar de ses personnages, ne veut rien mitiger d’Eros et de Thanatos.
“Son oeuvre se dégage de la matière dans laquelle elle était engluée dans les années 1960. Il peint l’informe. Il semble ne plus toucher ses toiles. Il souffle du pigment, projette de la peinture sur la toile. Il gagne en clarté, en précision, en intensité”, souligne le commissaire.
En 1985, il crée sa toile préférée “Eau coulant d’un robinet”. “Il a réalisé alors son projet d’artiste. S’il fallait garder un tableau, ce serait celui-là. C’est un tableau, comme il le voulait, immaculé”.
Bacon, marqué tôt par l’incompréhension d’un père, par la guerre en Irlande où il est né, par la Seconge Guerre mondiale, trouve le bonheur dans ses amants et dans ses références philosophiques chez des auteurs qui soulignent le malheur, la cruauté et la beauté du monde.
Parrains philosophes
En témoigne sa bibliothèque d’un millier de livres conservée à Trinity College à Dublin. Cette mise en écho est un des mérites de l’exposition.
Dans six salles, en français ou en anglais, des textes d’Eschyle, de Nietzsche (l’auteur qui l’a le plus marqué), de Georges Bataille, de Michel Leiris, de Joseph Conrad, de T.S. Eliot, sont lus et nourrissent la réflexion.
Dans cette deuxième phase de son oeuvre, les Euménides, figures qui incarnent la culpabilité, ont envahi les toiles.
Il y a chez Bacon une “polarité permanente”, une “force vitale” tirée du dialogue/conflit entre Apollon, la beauté parfaite, et Dyonisos, l’ivresse, l’excès de violence, explique le commissaire.
Mais “je ne trouve rien d’horrifiant dans mes sujets”, assurera Bacon à l’intention de ceux nombreux qui ne comprennent pas son oeuvre détonante dans l’art d’après-guerre.
Dans des entretiens tirés des archives de l’INA, diffusés dans l’exposition, Bacon sera interrogé sur le côté morbide de ses corps lacérés, tordus, tuméfiés, sanglants.
“Pourquoi vous ne peignez pas une rose?”, lui demande-t-on. “Une rose est extrêmement mortelle”, répond-il du tac au tac.
Et il poursuit: “On passe la vie bras dessus bras dessous avec la mort. Plus on est obsédé par la vie, plus on est obsédé par la mort. Je me trouve chez moi dans ce chaos.”
Celui qui avait pour modèles Cimabue, Rembrandt et Velasquez, a préféré Picasso à Matisse pour avoir “possédé la brutalité du fait”.
L’exposition au sixième étage du Centre Pompidou – jusqu’au 20 janvier 2020 – est dépouillée et très lisible. Peu de panneaux explicatifs. Un choix “assumé” par le commissaire qui souligne que “les oeuvres ne sont pas le support d’un discours”.
Etant donné la fascination que suscite Bacon, le Centre Pompidou -comme le Louvre pour sa future exposition Léonard- a instauré des réservations obligatoires pour éviter les embouteillages.