Au Centre Pompidou-Metz, l’artiste sud-coréen Lee Ufan propose des dialogues silencieux entre roches, verres, aciers : un art dépouillé qui se passe de mots et de concepts pour mieux faire sentir l’espace et le temps.

Dans cette exposition « Habiter le temps », c’est un artiste abstrait bien particulier et inclassable qui présente en France son oeuvre dans ce musée aéré et lumineux.

Le Sud-Coréen, aujourd’hui âgé de 82 ans, qui s’est formé au Japon et se rattache à la mouvance « Mono-Ha » (l’École des choses), ne remplit pas les oeuvres des constructions de son égo comme le font tant d’artistes contemporains. Tout au contraire, le « je » de l’artiste semble avoir disparu, donnant la parole à la matière, l’espace et le temps.

Les salles dépouillées sont habitées d’une sorte de respiration profonde et spacieuse. Le vide y domine. L’exposition apaise et parle aux sens, elle n’appelle pas au jugement, à la démonstration, au débat intellectuel.

C’est aussi une exposition musicale, grâce à la bande-son du compositeur japonais Ryuichi Sakamoto, qui accompagne le visiteur. Sakamoto travaille avec talent les propriétés sonores du verre, du métal, du sable… en parfaite symphonie avec Lee Ufan.

Dialogue des matériaux

Dans la première salle, en guise d’introduction, l’artiste a peint à même le mur blanc un carré fait d’un subtil dégradé de gris, appelé à disparaître quand l’exposition sera close. Dans ce parcours non chronologique à travers une cinquantaine d’années de création, Lee Ufan explique avoir voulu « montrer beaucoup de fragments de lui-même », mais, pour autant, il ne se livre pas.

Au fil des salles, les installations font se côtoyer des matériaux naturels que sont des boules de coton cru ou des rochers, et des matériaux industriels travaillés: plaques de verre ou d’acier. Une lourde pierre est posée sur une vitre et ne la casse pas. Une poutre d’acier semble ployer en appui sur un rocher. Ce sont ces interactions qui intéressent Lee Ufan.

Des tableaux fluorescents se projettent sur le visiteur, l’inondant de leur fulgurance ; d’autres disent par leurs motifs l’infini de la répétition… Dans la dernière salle, une chambre du thé, lieu de méditation traditionnel au Japon, avec en son milieu une simple pierre, compagnon de l’homme pour se recueillir.

Pourquoi le rocher poli qui ne livre pas ses secrets est-il si central dans l’oeuvre de Lee Ufan? Il « représente la chose non touchée sur laquelle l’homme n’a pas de prise », explique le commissaire de l’exposition, Jean-Marie Gallais. « Ici, l’art n’est pas au mur, il est dans l’espace, dans le vide, là où le spectateur se trouve. L’important est ce monde extérieur sur lequel l’artiste n’intervient pas », explique le commissaire.

Dans une oeuvre d’art, « ce qu’il y a à voir est ce que vous ne voyez pas! », avait résumé paradoxalement cet artiste philosophe et poète dans une de ses maximes les plus célèbres. Ce refus de la conceptualisation a aussi à voir avec son itinéraire personnel: Lee Ufan avait commencé à créer au Japon sans maîtriser la langue nippone. Il décida de s’exprimer visuellement sans passer par la figuration mais en provoquant des rencontres entre objets.

Pour Emma Lavigne, directrice du Centre-Pompidou-Metz, cet artiste « apporte une perception non intellectualisée de l’art », par « une mise en tension de la matière », une « captation de l’énergie dans une matière qui semble inerte ».

Centre Pompidou-Metz – Du 27 février au 30 septembre

Texte : Mathieu Rosan