Les manifestations des jeunes pour le climat, mises entre parenthèses par la crise sanitaire, ont repris à l’automne dernier. Au fil des ans, le mouvement Youth for climate Luxembourg a approfondi sa réflexion et affiné ses revendications à l’égard du gouvernement dont il juge l’action contre le réchauffement climatique insuffisante. 

Texte : Fabien Grasser

Ils veulent que ça change et le font à nouveau savoir. En septembre dernier, 2 500 lycéens sont bruyamment descendus dans les rues de Luxembourg pour exiger des actions politiques efficaces contre le changement climatique. « On est plus chauds, plus chauds, plus chauds que le climat ! », « We want change » : ces slogans, scandés en cœur par tous les jeunes sur la planète, ont retenti en milieu de matinée place de la Gare. Le mouvement Youth for Climate Luxembourg y avait rassemblé ses troupes pour un nouvel épisode des Fridays for future, les grèves scolaires pour le climat, initiées en 2018 par Greta Thunberg. 

Des lycéens venus de tout le pays, mais aussi des adultes et quelques rares organisations de la société civile, ont défilé sans débordement jusqu’au Glacis. En 2019, les premières manifestations avaient rassemblé jusqu’à 15.000 personnes et les organisateurs expliquent cette moindre mobilisation par la proximité de la rentrée qui avait lieu une semaine plus tôt. Ces rassemblements s’apprécient aussi par rapport aux 42.720 lycéens scolarisés dans les établissements d’enseignement secondaire au Grand-Duché. 

« Quand on voit les émissions de CO2 augmenter d’année en année, on comprend bien que les politiques n’ont pas intégré l’urgence climatique »

Signe encourageant, des manifestants plus jeunes, de 13 ou 14 ans, ont rejoint le cortège cette fois-ci. D’autres, comme Louis, lycéen de 17 ans à l’Athénée, reconnaissent une prise de conscience : « C’est la première fois que je manifeste. En 2019, je n’étais pas vraiment convaincu, mais là je me dis que si on ne bouge pas, rien ne changera. Nous sommes dans un pays démocratique où nous pouvons décider de ce que nous voulons et manifester est un moyen de décider. » Le changement qu’il appelle de ses vœux doit d’abord être initié par les politiques et les entreprises, pense-t-il. « On peut aussi faire des choses personnellement en adoptant un mode de consommation plus responsable sans que cela affecte réellement notre confort : prendre les transports en commun, acheter local, refuser les produits suremballés », énumère Louis. Comme de nombreux ados rencontrés dans le cortège, il dit être végétarien. C’est également le cas de Tom, coordinateur du mouvement au sein du lycée Michel Rodange. Tandis que le cortège passe devant les boutiques de luxe du centre-ville, il affirme encore qu’«on peut aussi s’habiller avec des vêtements durables ».

Au fil de ses deux années et demi d’existence, le mouvement a évolué sur la compréhension des enjeux et gagné en radicalité dans ses revendications. « Il y avait une certaine naïveté de notre part en 2019, nous pensions pouvoir lutter contre le changement climatique juste en consommant moins de plastique », avoue aujourd’hui Zohra Barthelemy, l’une des chevilles ouvrières de Youth for Climate Luxembourg. 

Le mouvement revendique désormais la neutralité carbone en 2030, là où le gouvernement planifie une réduction de 55% des émissions de CO2 à la fin de la décennie et la neutralité en 2050. « Selon l’Accord de Paris sur le climat, il faut limiter le réchauffement à 1,5° pour éviter des conséquences irréversibles. Mais les rapports les plus récents indiquent qu’en l’absence de mesures catégoriques, on atteindra déjà cette limite en 2030 », constate Natasha Lepage, autre animatrice du mouvement et lycéenne à Echternach. « Il y a clairement une incohérence de la part du gouvernement et de la ministre de l’Environnement, Carole Dieschbourg, qui dit pourtant qu’elle a activement participé aux négociations de Paris. »

« Nous ne sommes pas des scientifiques mais, en tant qu’activistes du climat, nous lisons les résumés du GIEC et d’autres rapports qui nous font sentir l’urgence de la situation. Quand on voit les émissions augmenter d’année en année, on comprend bien que les politiques n’ont pas intégré cette urgence », déplore Zohra Barthelemy. 

« On n’attire pas les électeurs en combattant la crise climatique »

Les ministres et autres politiques de premier rang, qui s’étaient ostensiblement affichés aux côtés des ados en 2019, ont brillé par leur absence le 24 septembre dernier. « Ils sont devenus indifférents à nos manifestations », juge Natasha Lepage. « Ça n’est pas suffisamment important à leurs yeux pour annuler d’autres rendez-vous. Lutter contre le changement climatique implique des réformes profondes et longues et ça n’est pas payant électoralement. Ils ont une vision à court terme. » Les politiques ne sont pas seuls à faire défection. « Des syndicats comme l’OGBL et le LCGB qui étaient très présents en 2019, ne sont pas là cette fois. Ils pensent qu’en tant qu’adultes, ils risquent de brouiller le message s’ils manifestent avec les jeunes. Mais ce n’est pas notre position, nous les avons tous invités », précise Natasha Lepage.

« On n’attire pas les électeurs en combattant la crise climatique », reprend Zohra Barthelemy. « Il faut changer l’industrie, lancer des mesures contre une place financière qui nuit beaucoup au climat, mais aussi transformer notre mode de vie qui n’est pas très climate friendly au Luxembourg », constate la lycéenne de 19 ans. De par sa taille géographique et démographique, le Luxembourg est globalement un faible émetteur de gaz à effet de serre. Le tableau s’assombrit néanmoins si l’on considère les émissions par habitant. Individuellement, les Luxembourgeois figurent parmi les plus gros émetteurs de la planète, révèlent toutes les études : ils occupent la neuvième position selon la Banque mondiale, la quatrième selon l’Agence internationale de l’énergie.

Inverser cette tendance demande de rompre avec les confortables habitudes de consommation du pays, prévient Youth for Climate Luxembourg. « Les politiques ne sont pas seuls en cause. Ce qui se passe est un miroir de la société, il y a un manque de volonté et de courage des gens. Ils pensent qu’en fermant les yeux, la crise ne les touchera pas », se désole Zohra Bartelemy. 

« Pas de justice climatique sans justice sociale ! »

Les deux militantes dénoncent aussi l’illusion d’un sauvetage par les technologies, privilégiées par les décideurs politiques dans la mise en œuvre de la croissance verte.  « Miser sur la technologie revient à jouer au loto », s’emporte Zohra Barthelemy. « Notre société joue son avenir au loto en pensant qu’une technologique va nous permettre de continuer à vivre comme nous le faisons, alors que c’est précisément notre façon de vivre qui créée le problème. » Et si des technologies efficientes voient le jour, elles craignent de les voir « réservées aux riches et aux blancs comme on l’a vu avec le vaccin contre le Covid-19 : il est d’abord accessible aux Européens, aux Américains, aux habitants des pays du Nord. »

Pour Youth for Climate Luxembourg, combattre le changement climatique implique une transformation profonde vers une société plus solidaire. Le 24 septembre, avant la dispersion de la manifestation, Zohra Barthelemy l’a martelé sur la scène dressée place du Glacis : « Pas de justice climatique sans justice sociale ! » Face au cynisme d’adultes opposant parfois leur sempiternel « principe de réalité » à des jeunes qu’ils jugent naïfs ou idéalistes, la jeune militante clame une vérité toute simple : « On se bat pour notre futur. Nous ne sommes pas responsables de la situation, ce n’est pas notre faute. »