Texte : Fabien Grasser

Amazon n’a pas bénéficié d’avantages fiscaux indus au Grand-Duché et ne devra pas rembourser 250 millions d’euros au fisc comme le demandait la Commission européenne, a jugé le Tribunal de l’Union européenne mercredi. A l’opposé, les juges européens estiment illégaux les tax rulings accordés à Engie qui devra payer 120 millions à l’administration luxembourgeoise. 

Le Tribunal de l’Union européenne a rendu ce mercredi 12 avril deux arrêts contrastés portant sur des décisions fiscales anticipées (tax rulings) accordées par le Luxembourg à Amazon d’une part et à Engie d’autre part. L’arrêt concernant Amazon était particulièrement attendu, la multinationale de Seattle étant devenue emblématique des pratiques d’évasion fiscale dont sont coutumiers les GAFAM, les géants américains de la tech. 

En 2003, Amazon avait passé un accord avec le fisc luxembourgeois portant sur deux filiales, dont Amazon EU SARL, qui fait office de siège européen de la multinationale. Certaines années, cet accord avait permis à la société de limiter son taux d’imposition effectif sur les bénéfices à 0,01%. La Commission européenne avait ouvert une enquête et conclu qu’Amazon avait obtenu un « avantage indu » constituant une aide d’Etat qui lui confère un avantage concurrentiel. En octobre 2017, les services de Margrethe Vestager, la Commissaire européenne en charge de la concurrence, avaient demandé à Amazon de rembourser 250 millions d’euros aux impôts luxembourgeois. L’entreprise avait contesté la décision devant la justice de l’Union européenne. Le gouvernement s’était associé au géant de la vente ligne pour défendre l’industrie fiscale luxembourgeoise, l’un des piliers de l’économie nationale. 

« Absence d’avantage sélectif »

Mercredi, les juges européens ont donné raison à Amazon et au Luxembourg et annulé le remboursement des 250 millions d’euros ordonné par Bruxelles. La juridiction européenne a conclu à « l’absence d’avantage sélectif » en faveur de la société, estimant que la Commission s’était fondée sur « une analyse erronée à plusieurs titres ». Selon le tribunal, « aucun des constats exposés par la décision attaquée ne suffit à démontrer l’existence d’un avantage (…) de sorte qu’il y a lieu de l’annuler dans son ensemble ». 

Amazon et le Luxembourg se sont rapidement félicités de cette décision. « Le traitement fiscal du contribuable en question suivant les règles fiscales applicables à l’époque n’est pas constitutif d’une aide d’État », relève le gouvernement dans un communiqué. Margrethe Vestager a de son côté indiqué que ses services étudieront « attentivement l’arrêt » et réfléchiront « aux éventuelles prochaines étapes ». La Commission peut faire appel devant la Cour de Justice de l’Union européenne (CJUE), comme elle l’a fait en septembre dernier après sa déconvenue face à Apple, à qui elle avait demandé de rembourser 13 milliards d’euros à l’Irlande.  « Notre législation actuelle n’est pas suffisante pour faire respecter la justice fiscale », a pour sa part réagi l’eurodéputé écologiste allemand Sven Giegold, appelant à l’adoption de « règles fiscales équitables en Europe ».

Comme pour Amazon, les accords conclus entre 2008 et 2014 par Engie et le fisc luxembourgeois étaient également attaqués par l’exécutif européen. Grâce à un montage complexe, Engie, dont le premier actionnaire est l’Etat français, avait échappé à l’impôt sur 99% des bénéfices réalisés par deux filiales domiciliées au Grand-Duché. Bruxelles avait demandé à la multinationale de rembourser 120 millions d’euros à l’administration luxembourgeoise mais l’énergéticien français et le gouvernement avaient, là encore, contesté la décision devant la juridiction européenne. Mercredi, celle-ci a donné raison à la Commission en jugeant qu’Engie avant bénéficié d’un « avantage fiscal ». Cet arrêt de première instance est également susceptible d’appel, le gouvernement ayant annoncé qu’il « se réserve tous les droits ». Une décision, rendue dans un contexte semblable à l’automne 2019, avait contraint Fiat à rembourser de 20 à 30 millions d’euros au fisc luxembourgeois. Deux tax rulings luxembourgeois sur trois soumis à ce jour à l’appréciation de la justice européenne ont par conséquent été déclarés illégaux.  

Pirouette comptable

Ces jugements interviennent après l’ouverture d’enquêtes par la Commission européenne quelques mois avant la divulgation des LuxLeaks, en novembre 2014. Ces révélations par des médias internationaux avaient mis en évidence un vaste système d’évasion fiscale dont ont bénéficié des années durant 343 multinationales au Grand-Duché. Face au scandale, le gouvernement avait alors plaidé la légalité des tax rulings tout en reconnaissant que cela n’est plus « considéré comme éthique, défendable ou moral ». Le ministre des Finances, Pierre Gramegna, avait assuré qu’il sera mis fin à ces pratiques. 

Pourtant, près de sept ans plus tard et quelques jours seulement avant la décision du tribunal européen, le quotidien britannique The Guardian révélait qu’une pirouette comptable permet à Amazon EU SARL de ne pas payer du tout d’impôt au Luxembourg au titre de l’année 2020. La filiale gère les ventes pour le Royaume-Uni, la France, l’Allemagne, l’Italie, l’Espagne, les Pays-Bas, la Suède et la Pologne. Autant de pays où la multinationale a vu ses ventes exploser l’an passé à la faveur de la crise sanitaire. En 2020, Amazon a réalisé un chiffre d’affaires record de 44 milliards en Europe et de 500 milliards dans le monde, tandis que son parton et première fortune mondiale, Jeff Bezos, voyait son patrimoine professionnel croître de 87 milliards de dollars.