Texte par Cadfael

Issu des castes supérieures, sa vie était un combat pour la justice et la dignité des plus démunis. Il dérangeait les puissants et les marchands du temple.

Renoncer n’est pas abandonner

Les grands de la presse mondiale lui ont consacré une nécrologie, il était honni de ses ennemis politiques et pleuré par les sans nom auxquels il a tenté, toute sa vie de redonner une dignité et surtout une liberté. Swami Agnivesh, décédé le 11 septembre dernier était un personnage comme seule l’Inde moderne arrive à en produire, dédié à une mission qui relie les hommes aux valeurs universelles ou à Dieu c’est selon. En langage laïc on parlerait peut-être des droits de l’homme dans un pays ou les valeurs qu’ils impliquent se diluent face à un système de castes omniprésent. Il a pratiqué ce que les philosophies indiennes appellent la renonciation.

 Né le 21 septembre 1939 et élevé par son grand-père maternel, premier ministre de royaume de Shakti (aujourd’hui disparu) dans une famille hindou orthodoxe. A l’Age de trente ans il abandonne son métier d’avocat et de prof en management dans un collège catholique pour devenir collaborateur à plein temps du mouvement fondé par Arya Samaj en 1875, un mouvement hindouiste réformateur qui deviendra à nouveau influent au 20ème et 21ème siècle.

Deux ans plus tard il choisira la voie des sanyasi, ceux pratiquent le renoncement et laissent derrière eux les possessions pour ne garder que robe et quelques livres. « Swami » est un titre honorifique honorant celui qui est lettré, gourou, avec ou sans disciples. Agnivesh embrasse une forme de monothéisme qui rejette le système des castes tout en pratiquant une justice sociale combattant l’esclavage des enfants et des adultes, prônant les droits des femmes, la tolérance religieuse et la réconciliation avec les mouvements nationalistes hindous. En 1977 il deviendra député et ministre de l’éducation de l’état du Haryana.

Le Front de Libération des Travailleurs Forcés

Pour combattre l’esclavage des adultes et des enfants, il fonde en 1981 le « Front de Libération des Travailleurs Forcés ». Il lui fallait un outil pour combattre un système qui voulait que ceux qui n’arrivaient pas à rembourser leur dette, avec des taux d’intérêts souvent de cent pour cent et plus, restent liés au patron pratiquement ad vitam. Souvent les parents intégraient les enfants dans le système de remboursement de cette dette en les vendant aux propriétaires des usines : carrières d’extraction de pierres, fabrication de tapis, tissage de la soie. Son organisation initia un programme de construction d’écoles proche des usines, afin de donner une base solide à l’avenir des enfants.

L’Indian Express du 13 septembre cite cette anecdote : lors d’une visite a des ouvriers du chantier des jeux asiatiques en 1982, des ouvriers l’ont emmené dans un petit village proche de Delhi. Ils rencontrèrent un groupe de femmes qui leur expliquèrent que leurs enfants, tous mineurs, étaient esclaves dans une usine de fabrication de tapis. De fait il assista aux punitions auxquelles les enfants étaient soumis : suspendus a des arbres et battus, privés de nourritures pendant des journées et un quotidien fait de 14 heures de travail. Il fit libérer les enfants en attaquant le système devant les tribunaux.  Après cette action l’organisation du Swami reçut des centaines d’appels au secours.

Une étude de 2003 estimait qu’à l’époque il y avait au moins 60 millions d’esclaves en Inde dont 15 millions d’enfants. Les experts estiment qu’aujourd’hui ces chiffres n’ont guère changés. La plupart sont des « Dalits », des impurs, des intouchables qui purgent leur vie dans des conditions innommables. Il réussira à faire libérer 178 000 personnes dont 26 000 enfants ce qui lui vaudra deux fois les tribunaux dont 14 mois de prison pour subversion et homicide.

Sa tête mise à prix

En 2018 de jeunes militants d’une structure politique pro-Modi, l’actuel premier ministre, ont tenté de le lyncher sous prétexte de sa proximité avec des missionnaires chrétiens et anti-hindous. Il aura également parcouru l’Inde afin de lutter contre la pratique des avortements sélectifs :  tous les ans, 5 à 7 millions d’avortements de fœtus féminins sont pratiqués souvent dans des conditions sanitaires mettant en danger la vie des femmes.

En 2011, il participera aux négociations avec la guérilla maoïste qui avait pris en otage 5 policiers en réaction à la mise à sac d’un village d’habitants qualifiés de sympathisants. Cela aura permis de  faciliter leur libération. Participant aux mouvements anti-corruption il prônera le dialogue inter confessionnel surtout avec les musulmans. Ces dernières années avec la montée du nationalisme hindou, il est devenu un de leurs grands critiques ce qui lui vaudra de voir sa tête mis à prix pour 2 millions de roupies par le parti ultra nationaliste hindou.

Il mourut le 11 septembre dernier à 80 ans. À ses funérailles les observateurs notaient de centaines d’anciens esclaves rendus à la liberté. Son idéal de justice sociale et de transparence de la vie publique ne pouvait que se heurter au système des castes et à un establishment conservateur. Il aura aidé à transformer le continent indien coincé entre ses démons millénaires et à redonner espoir à ceux qui n’y ont pas droit.

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