Sophie Fontanel est un OVNI. Dans la mode, dans la littérature. A 53 ans, la facétieuse auteur insatiable, éprise de liberté et boulimique d’images signe avec La Vocation un ouvrage hors norme. Et qui force le respect. Mêler légende familiale, Histoire au petit monde de la mode est un tour de force. Sans aucun doute, rendre légitime la désinvolture grinçante qu’incarne aujourd’hui le monde de la mode est audacieux.

C’est au retour de la fashion week de New York que je joins Sophie Fontanel pour lui poser quelques questions sur La Vocation. Finalement, nous avons peu parlé du livre, il a été question de mode, d’amour. Et d’élégance. Son véritable amour. Elle est un peu jet-laguée et s’excuse de se faire un café. N’imaginez pas Sophie Fontanel dans une tour d’ivoire. Elle est déconcertante de simplicité et de gentillesse. Parle à bâtons rompus. Est fascinante et captivante.

De l’élégance

La première chose qui m’avait frappée en lisant La Vocation est le parti pris dans l’utilisation des temps verbaux. Du présent de l’indicatif pour l’histoire de Méliné, sa grand-mère, arménienne, qui a fui son pays pour la France; tandis qu’elle évoque sa propre histoire en tant que directrice de la mode à Elle au passé simple. Pour elle, c’était évident, et le choix s’est imposé de lui-même «le destin de Méliné est intemporel, il y a toujours des gens qui quittent un pays, il n’y a qu’à regarder l’actualité. En revanche, le destin de la mode est périssable, tout va vieillir. C’est de l’anecdotique», explique-t-elle.

Il n’en faut pas plus pour la lancer sur le sujet. Sophie Fontanel cultive l’élégance, qui se perd de plus en plus au fil du temps. Elle déplore qu’on lui préfère le style, ce brin d’audace, quand l’élégance se veut la quintessence du beau. Elle déplore également que l’on ne soit plus habitués aux beautés hollywoodiennes, comme Robert Redford. Le code a changé, les normes se sont lissées.

Si elle se distingue du style, prôné par la presse, qu’est-ce, alors que l’élégance? «C’est le souci du détail.» Pas du chichi ni de l’ostentatoire, mais de l’essentiel. Du bon sens, presque. Des vêtements propres, des chaussures cirées, un tomber parfait. Elle évoque l’histoire de l’une de ses connaissances, un homme très désargenté, qu’elle croise un jour, rue Montaigne. Pour l’occasion, il avait revêtu une chemise blanche, et avait mis des rubans de velours à la place des boutons de manchette. «Bien sûr, tout le monde remarquait sa pauvreté. Mais sa chemise était immaculée. Il était habillé comme un milord. Les gens s’arrêtaient pour lui donner une pièce, ne serait-ce que pour saluer cet effort.» Il est des pièces qui, malgré leur simplicité, ont un pouvoir inconsidérable. Et cet homme-là le savait bien.

Ce souci du détail est l’une des façons dont s’incarne son amour incommensurable des vêtements. Celui-là même que lui ont transmis les femmes de sa famille, Méliné, sa grand-mère, mais aussi Anahide, sa tante. Comme elles, Sophie pense que les vêtements sont intrinsèquement liés à l’identité, qu’ils sont une seconde peau. Etre belle n’est pas une question de perfection, mais de ressenti. Il faut se connaître, se trouver. «Chez moi, ça a pris du temps», dit-elle en riant. Ne pas se prendre au sérieux, sans doute aussi un peu.

Une vision des vêtements et des tendances bien éloignée du milieu ultra select de la mode. L’avoir quitté ne signifie pas pour elle qu’elle en a fini avec lui. Bien au contraire. Elle le reconnaît, elle porte un regard désabusé sur ce milieu, «en train de péricliter», mais toujours empreint de bienveillance. Si elle reconnaît volontiers son caractère superficiel et surfait, elle n’en aime pas moins ceux qui le composent. A l’image du personnage de Flèche, odieuse styliste dont le talent n’a d’égal que l’arrogance. Et pourtant, on sent une profonde tendresse de Sophie pour elle. «J’ai vu des êtres humains pris là-dedans, des gens avec leur petit pouvoir. Un pouvoir limité, vain. La mode, c’est pareil que les livres. Qui va rester au final?». C’est alors je lui demande pourquoi continuer. «Parce que les gens sont si mal habillés, lance-t-elle dans un immense éclat de rire. Il y a encore tant de travail à faire! Moi-même, j’ai été mal habillée. Je le suis encore parfois. Les gens font trop souvent le choix du classique, ne prennent pas de risque. C’est désespérant de ne pas savoir s’arranger. Pour bien s’habiller, il faut partir du plus profond de soi. Réfléchir au lien entre la sensualité, le vêtement. Songer aux détails. Evidemment, certaines personnes n’ont pas le choix. Mais beaucoup l’ont. C’est un effort à faire, bien sûr. Mais parfois, mettre un petit foulard, le glisser dans son col, ça change tout.»

La Vocation

Puis vient le moment où je lui demande si elle a des regrets d’avoir quitté son poste de directrice de la mode à Elle. Quitter la presse féminine pour embrasser le monde de la presse généraliste. Des regrets, elle n’en a aucun. Ce post était de ceux qu’on ne peut pas refuser «comme lorsqu’on a proposé à Lauren Bacall de tourner avec Bogart. Comment dire non?», tout en sachant qu’elle n’était pas faite pour diriger. «Ma vocation n’est pas d’être directrice».

Non, résolument, la sienne, c’est de partager. A grand renfort d’Instagram. Ils sont plus de 50 000 à composer sa «horde», sa seconde famille, et à suivre ses pérégrinations. Sophie a beaucoup à dire. L’angoisse de la page blanche ne la concerne pas. Elle refuse cette posture égocentrique de l’écrivain et se revendique graphomane. De même qu’elle écrit comme elle respire, elle utilise les images pour partager avec sa horde ses coups de cœur, ses envies, ses réflexions, ses looks du jours, dans sa chambre devant son lit défait. Pour faire sa promo, aussi. Et faire de la performance.

Ses cheveux gris? Ils ont fait grincer des dents, généré des railleries. Elle a hésité, l’idée de sauter le pas vers le going grey l’effrayait. Puis a décidé de se faire confiance et d’oser. Pour faire évoluer la perception. Se laisser vieillir à 53 ans. Peut-être, «mais à travers une telle envie dévorante de jeunesse». Avec cette expérience, qui sera d’ailleurs le sujet de son prochain roman, L’Apparition, elle revendique la liberté comme moteur. Invite à se poser la question de l’importance que l’on accorde à l’apparence. A faire des choix qui nous font du bien: «je préfère faire attention à avoir une jolie silhouette que de me prendre la tête avec mes cheveux» plaisante-t-elle.

Sophie Fontanel est une affranchie de la mode et des diktats. Résolument inspirante.

 

 

Crédit photo: ©Antoine Harinthe