Le World Wide Web (www), censé être un espace libre et ouvert à tous, a été détourné par les pires réseaux criminels, dont certains ciblent particulièrement les jeunes. On y retrouve désormais certaines des pathologies les plus sombres de nos sociétés.

Par Cadfael

Le web, une invention du CERN

Créé en 1954 près de Genève, le CERN (Centre d’études et de recherches nucléaires) abrite un complexe unique d’accélérateurs de particules, fruit d’une collaboration internationale d’excellence. C’est là qu’un chercheur en informatique, Tim Berners-Lee, mit au point les protocoles permettant des échanges de contenus à travers le monde. Son objectif : connecter les individus au-delà des frontières, des croyances et des origines, de manière simple, gratuite et ouverte. Il offrit au monde entier l’accès au protocole www, sans contrepartie.

Mais si cet espace sans frontières conserve de formidables vertus, une partie s’est transformée en véritable décharge numérique, où prolifèrent des réseaux toxiques, déversant leur venin à grande échelle.

Exploitation sexuelle de mineurs

Fin avril, deux jeunes Américains de 20 et 21 ans ont été arrêtés, l’un en Grèce, l’autre en Caroline du Nord, et sont désormais incarcérés aux États-Unis. Le FBI les accuse d’avoir dirigé une organisation d’exploitation de mineurs, liée à un « réseau nihiliste violent extrémiste » connu sous le nom de 764.

D’après CNN, ce concept, récemment défini par le FBI, désigne des individus menant des activités criminelles aux États-Unis et à l’étranger, dans le but de promouvoir des objectifs politiques, sociaux ou religieux fondés sur une haine généralisée de la société et une volonté d’en provoquer l’effondrement par le chaos, la destruction et l’instabilité.

Cette qualification juridique s’avère suffisamment large pour englober diverses mouvances jugées hostiles par Washington, allant de l’opposition à Trump aux formes les plus élaborées de terrorisme. Elle s’éloigne ainsi des racines philosophiques européennes du nihilisme, héritées des sophistes grecs comme Gorgias — affirmant que « l’être n’est pas » — jusqu’à Nietzsche, Schopenhauer, ou encore les théoriciens russes tels que Tourgueniev et Kropotkine, qui se verraient aujourd’hui fichés aux États-Unis.

Quoi qu’il en soit, selon le département américain de la Justice, les deux Américains arrêtés auraient mis en place « l’une des entreprises d’exploitation d’enfants en ligne les plus odieuses que nous ayons jamais rencontrées : un réseau fondé sur la terreur, les abus et le ciblage délibéré des enfants ».

Le réseau 764

Créé en 2021 par un Américain de 15 ans, qui s’est initié à la sextorsion et au trafic de pédopornographie en ligne, le réseau 764 est aujourd’hui un système fluide comptant plusieurs centaines de membres et de sous-groupes. Le FBI enquête actuellement sur 250 de ses membres.

Selon le Département de la Justice, à partir d’un sous-groupe baptisé 764 Inferno et utilisant des messageries cryptées, les deux accusés auraient dirigé, facilité et incité à la production et à la diffusion de matériel pédopornographique, tout en conditionnant, manipulant et extorquant leurs jeunes victimes.

Ils les auraient contraintes à commettre des actes d’automutilation et auraient infligé tortures psychologiques et violences extrêmes. Sous la menace et la manipulation, les victimes produisaient des contenus explicites et dégradants, incluant des « signes de coupure » et des « signes de sang » où les enfants s’incisaient des symboles sur le corps.

Anna, l’une des victimes, témoigne sur Wired : « Leur objectif principal est de vous traumatiser (…) Ils veulent vous faire souffrir. Et vous pousser au suicide. Ce sont des gens profondément sadiques. »

Des arrestations ont déjà eu lieu dans huit pays, dont deux en Allemagne, sur des accusations de pédopornographie, d’enlèvements et de meurtres.

Un écosystème tentaculaire

Le réseau 764 constitue l’un des piliers majeurs d’un vaste écosystème que Wired qualifie de tentaculaire. Internationalisé, décentralisé, il mêle idéologies satanistes et néonazies.

Il entretient des liens étroits avec des ordres satanistes américains et européens, tels que l’Ordre des Neuf Angles, un groupuscule ultranazi né en Angleterre dans les années 1960, dont le gourou reste à ce jour inconnu des services de renseignement.

Ces mouvements occultes et violents présentent un fort potentiel de passage à l’acte dans leur volonté d’instaurer un nouvel ordre. On les retrouve en Europe, au Brésil, au Canada, aux États-Unis et en Australie.

Les autorités dénombrent des centaines de victimes, recrutées via des plateformes apparemment anodines comme Minecraft, Roblox ou Discord. L’ensemble de ces groupes interconnectés regroupe des milliers d’utilisateurs, dont des centaines d’habitués menant des campagnes coordonnées de sextorsion et de harcèlement contre des enfants.

Selon le Guardian du 11 mai dernier, la cheffe du renseignement de la police new-yorkaise déclare que « 764 et d’autres réseaux similaires sont de véritables cauchemars, et leur démantèlement constitue désormais une priorité absolue de sécurité nationale aux États-Unis et en Europe ».

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