“Etre celle qui dirige plutôt que l’objet de désir d’un metteur en scène”: visage familier du cinéma français depuis trois décennies, Sandrine Kiberlain passe à la réalisation avec “Une jeune fille qui va bien”, son premier long-métrage.

Maggie Gyllenhaal tout récemment avec “The Lost Daughter”, Nicole Garcia depuis les années 1990, Mélanie Laurent ou Maïwenn dès l’aube de leurs 30 ans… A 53 ans, Sandrine Kiberlain rejoint la liste des actrices qui ont décidé de mettre en images leurs propres récits.

Un projet de longue date pour une comédienne à l’aise dans tous les registres (Césarisée en juge d’instruction psychorigide dans la comédie d’Albert Dupontel “9 mois ferme” en 1994), qui attendait de “trouver le bon angle” pour aborder “une question qui (la) hante”, celle de l’antisémitisme”.

Le film est un touchant portrait d’adolescente au bord du précipice, celui d’Irène (interprétée par la benjamine de la Comédie-Française, Rebecca Marder), qui ne vit que pour le théâtre, passe les auditions et découvre l’amour dans une certaine insouciance. Mais la jeune Française juive ne peut ignorer l’orage qui s’annonce: l’étau de la collaboration et de l’antisémitisme se resserre dans le Paris de mai 1942, où les Juifs doivent désormais porter l’étoile jaune.

“On suit le quotidien d’une jeune fille ultra vivante qui ne peut pas soupçonner de quoi le lendemain sera fait”, souligne la réalisatrice dans un entretien. “Nous, on a de l’avance sur elle, on sait ce qui va se passer, donc bien sûr on a peur”, et le film, qui évite tout pathos, “est comme une interaction entre elle et nous”. Petite-fille de quatre grands-parents juifs polonais, arrivés en France en 1933, et rescapés de la Shoah, fille d’un expert-comptable qui a rencontré sa femme dans un atelier de théâtre, Sandrine Kiberlain explique avoir mis énormément d’elle-même dans le projet.

“Je voulais traiter cette époque, du pourquoi et du comment de l’antisémitisme, mais ne surtout pas refaire ce qui a déjà été fait. Traiter non pas le drame, mais la joie”, d’avant la catastrophe : “raconter le meilleur, pour qu’on ait peur du pire”.

“Quand on écrit, on écrit sur soi, et bien sûr je me suis projetée au même âge, à mes débuts d’actrice et tout ce qu’on ose à cet âge-là”, poursuit celle qui a joué dans plus de 60 films (“Mademoiselle Chambon”, “Polisse”, “En avoir ou pas”…) et dit n’avoir jamais oublié ses premiers compagnons du Conservatoire. Au final, “le film me raconte plus que quand on va me voir dans les films des autres. Si les gens veulent me connaître, c’est ce film-là qu’ils doivent aller voir !”.

Obsession pour les lacets

Sur le plateau, Sandrine Kiberlain “sait ce qui peut casser ou peut porter un acteur”, et “prenait un soin incroyable à sacraliser le jeu, demandant un silence religieux”, témoigne Rebecca Marder, qui a tenu là son premier rôle principal de cinéma. “Elle dirige avec un tact et une intelligence du jeu propres à ce métier de comédienne”.

“Je connaissais (le fonctionnement) d’un tournage”, reconnaît la réalisatrice, “mais je ne savais pas ce que c’était de décider de tout, jusqu’aux lacets des chaussures. On devient très obsessionnel !”. Pour réaliser, il a fallu attendre d’avoir suffisamment “confiance” mais aussi, plus concrètement, de “pouvoir prendre le temps”, celui que “les enfants grandissent”.

Suzanne, la fille qu’elle a eue avec son ex-mari Vincent Lindon, a sorti l’an dernier son premier film, “Seize Printemps”, également un portrait d’adolescente ivre de théâtre et d’amour – une coïncidence, assure Sandrine Kiberlain. Elle-même espère transformer l’essai avec d’autres films. Mais à deux conditions : “ressentir une nécessité, quelque chose qui fait qu’on ne pense qu’à ça, et pouvoir apporter quelque chose de nouveau”.