Samia Rabia, associée du cabinet Wildgen, dirige depuis début 2018 le bureau londonien du cabinet depuis Luxembourg. Un poste à hautes responsabilités pour lequel elle n’a pas hésité à mettre sa vie de femme de côté. Pour autant, elle n’y a jamais renoncé et jongle à présent entre les différentes facettes de sa vie professionnelle et personnelle, sans jamais craindre de relever – avec brio – tous les défis qui s’offrent à elle.

Elle se confie sur son parcours.

S’il n’y avait qu’une seule chose à retenir de votre parcours, ce serait…

J’ai eu beaucoup de chance ! Tant de personnes travaillent très dur, sans être récompensées de leurs efforts et sacrifices. J’ai la conviction d’avoir été au bon endroit au bon moment. Mon travail a fait le reste…

Avez-vous des regrets ? 

Oui bien sûr ! Avoir des regrets signifie que je garde un regard critique sur soi-même et que ce que je fais est perfectible, sans pour autant tomber dans le perfectionnisme. Mais j’ai fait des choix – certes pas tous heureux – que j’assume totalement. Au final, aujourd’hui aucun de ces « regrets » ne prend le pas sur le positif. Je vis ma vie avec la conviction que le meilleur reste à venir !

Quelles difficultés avez-vous traversées dans votre carrière professionnelle et comment les avez-vous surmontées ? 

J’en ai surmonté tellement dans ma carrière, mais je dirais que, durant l’âge d’or du private equity du Luxembourg (2003-2009), j’ai travaillé jour et nuit et sacrifié, dans une large mesure, ma vie privée – ma vie tout court – au profit des exigences de mon métier. Il m’est arrivé de ne pas rentrer chez moi pendant 48 heures d’affilée et de « vivre » au bureau. C’était très exigeant physiquement et moralement, cela a nécessité une très grande conviction. Plus généralement, le métier d’avocat d’affaires est très demandeur et requiert beaucoup de disponibilité et de flexibilité exigées par une clientèle internationale souvent très impatiente. Il est très difficile de déconnecter, même durant ses vacances. J’ai serré les dents et gardé le cap sur mon ambition : devenir associée du cabinet Wildgen.

La qualité professionnelle que vous admirez le plus ? 

Je dirais que j’admire beaucoup le leadership qui sait se déployer dans le fairness. Être un/une leader donne beaucoup d’obligations, la première étant qu’en tant que guide, on se doit d’être honnête et juste dans ses jugements et ses actes, sans quoi je pense que l’on perd beaucoup de sa légitimité.

Est-ce difficile d’occuper une fonction à haute responsabilité lorsque l’on est une femme, selon vous ? 

Je ne le pense pas, tant que l’on n’est pas victime d’un sentiment d’imposture. Ceci étant dit, de nombreuses femmes éprouvent des difficultés à accéder puis occuper des postes à hautes responsabilités, alors qu’elles sont parfaitement légitimes. Malheureusement, elles sont encore souvent victimes de préjugés et la pression professionnelle et sociale qu’elles subissent (et/ou qu’elles s’infligent) est très lourde à gérer. À cela s’ajoutent les difficultés à concilier une vie professionnelle de premier plan et une vie de famille.

De quelles qualités un manager doit-il faire preuve ? 

Un(e) bon/bonne manager est celui/celle qui parvient à concilier les contraintes professionnelles et humaines. L’actualité a laissé apparaître de multiples cas pour lesquels la course à la performance professionnelle pure a abouti à des drames humains (suicides, dépressions…). Et cela tant pour les femmes et les hommes qui subissent ce type de management que pour la société qui est censée en bénéficier. Une relation de confiance est primordiale à une gestion gagnante. À mon sens, toute autre option est nécessairement une vue à court terme. Or, je ne conçois la réussite d’une entreprise, quelle qu’elle soit, que dans des relations inclusives inscrites dans le respect de toutes les forces en présence.

Quels sont les principes de management auxquels vous adhérez ?

Je crois fermement dans la nécessité de prendre des décisions, de les assumer et de les communiquer. Le respect est également une valeur phare d’un bon management. Une entreprise regroupe des talents divers et chacun d’entre eux devrait idéalement avoir la possibilité de s’exprimer. Les entreprises regorgent de pépites qui gagneraient à être découvertes et mises en valeur par un(e) bon/bonne manager.

Le management est différent selon qu’on est un homme ou une femme ? 

Pas nécessairement. Ceci dit, hommes et femmes ont une sensibilité qui peut être différente ou s’exprimer différemment. C’est ce qui fait aussi, selon moi, le succès d’une entreprise.

Le plafond de verre existe-t-il réellement ?

Évidemment, le nier serait une hérésie. J’ai eu la chance (encore) de ne pas en être victime, car dans le cabinet Wildgen, une chance égale est offerte aux hommes et aux femmes, quels que soient l’âge ou l’origine. Notre cabinet valorise la diversité, dont il tire sa force, afin d’offrir le meilleur service à ses clients.

Êtes-vous pour les quotas ?

J’ai longtemps été contre, en pensant que les femmes arriveraient à être reconnues par leur mérite. Mais la plupart des sociétés occidentales tardent à opérer ce changement et à donner ainsi aux femmes une place équivalente à celles des hommes. L’exemple des pays nordiques nous a montré la voie à suivre : celle des quotas. Aujourd’hui, je soutiens qu’instaurer des quotas de femmes aux postes à responsabilité dans la société, quel que soit le domaine (entreprise, politique…), est la seule solution pour obtenir un changement profond de cette situation injuste et injustifiée. Ils permettraient d’initier un changement structurel des mentalités. Nos enfants et les enfants de nos enfants vivront alors, je l’espère, dans un monde où la place des femmes à des postes à responsabilité sera juste naturelle…

Vous sentez-vous concernée par le syndrome de l’imposture :

Non! Je ne connais aucun homme qui le soit, alors pourquoi le serais-je ? J’ai travaillé très dur pour accéder à ma position et je ne cesse de travailler encore très dur pour la conserver. Je n’ai donc aucune raison de me sentir coupable d’imposture. Il faut constamment se remettre en cause pour rester à la hauteur des exigences de notre métier. Quand vous gérez les clients, les équipes, le cabinet (ensemble avec les autres associés), les activités de développement, vous devez constamment rester informés des nouveautés législatives du pays, mais aussi à l’étranger. Vous devez connaître les tendances du métier, essayer de les anticiper, le tout sur de nombreuses années. Il n’y a aucune place pour le doute. Il ne peut ainsi s’agir ni de hasard et encore moins d’imposture… J’ai été nommée associée du Cabinet Wildgen en 2005 et suis longtemps restée la seule femme associée du cabinet. À présent, il y a cinq femmes associées sur 12, ce qui est tout à fait représentatif de leurs qualités professionnelles et de leur reconnaissance par les associés masculins du cabinet.

Avez-vous dû faire des sacrifices personnels pour évoluer professionnellement ?

J’ai fait beaucoup de sacrifices pour satisfaire aux exigences de ma carrière. J’ai mis mes projets personnels de côté pendant plusieurs années, notamment fonder une famille et passer plus de temps avec mes proches. Au final, je ne suis jamais parvenue à ce mythique équilibre vie privée / vie professionnelle et, en toute honnêteté, je ne pense pas qu’il puisse être atteint. Je crois aux équilibres et non à un équilibre absolu. Parfois, je fais passer ma famille en priorité, et parfois le travail, et ce, en fonction des besoins de chacun à l’instant T.

Comment réussissez-vous à jongler entre vie perso et vie professionnelle ?

Avec beaucoup d’aide et d’organisation ! Même comme ça, c’est parfois très acrobatique. S’agissant des enfants, rien ne se passe jamais comme prévu. Il faut donc souvent s’adapter à la situation. Au bureau, c’est aussi souvent compliqué (rendez-vous de dernière minute, voyage à l’étranger non planifié, urgence dans un dossier…). Il faut savoir rester flexible et surtout garder son sang-froid ! C’est primordial.

Quel est votre meilleur atout ? 

Mes jambes… Je cours beaucoup après le temps (rires) ! Plus sérieusement, ma force de caractère. Elle m’a permis de me sortir de nombreuses situations délicates. Plus fondamentalement, j’ajouterais que, cette force, je la puise avant tout dans ma famille. C’est le pilier de mon existence et mon meilleur atout dans la vie. C’est elle qui nourrit mes ambitions et m’apporte la stabilité indispensable pour affronter les difficultés du quotidien.

Que faites-vous en premier en arrivant au bureau ?

J’ouvre la fenêtre. J’ai besoin de respirer de l’air frais avant de démarrer ma journée. La deuxième chose tout aussi primordiale est de faire mon cappuccino (sourire).

Professionnellement, que ne supportez-vous pas que l’on vous dise ? 

Que ce n’est pas possible ! Mon mari répète souvent à nos enfants que lorsqu’on le veut, tout est possible ! J’y crois fondamentalement. En tant que professionnels, nous devons faire le maximum pour trouver des solutions même si cela signifie qu’il faille surmonter de gros obstacles.

Quel est le meilleur conseil professionnel que l’on vous ait donné ? 

Avoir confiance en moi ! Je n’ai réalisé que tardivement à quel point c’est fondamental. La confiance en soi permet de soulever des montagnes. Si le talent est également là , c’est la route assurée vers les étoiles !

 

Crédit photo : ©Wildgen