Texte par Fabien Grasser

Le secteur économique clé de la finance est l’objet depuis plusieurs mois d’une âpre bataille entre syndicats. L’OGBL et le LCGB contestent la légitimité de l’Aleba à mener seule les négociations pour le renouvellement des conventions collectives dans la banque et l’assurance. Vendredi 5 mars, le ministre du Travail, Dan Kersch, a retiré sa représentativité sectorielle à l’Aleba. Une décision sans précédent qui devrait avoir des suites sur le terrain judiciaire. 

L’arrêté ministériel communiqué ce vendredi 5 mars par Dan Kersch hypothèque toute chance de voir dans un avenir proche les syndicats faire front commun dans le secteur financier. Dans une décision inédite, le ministre socialiste du Travail a retiré sa représentativité sectorielle à l’Aleba. Il donne suite à la démarche lancée en novembre par l’OGBL et le LCGB. Les deux syndicats avaient alors demandé au ministre de trancher la question de la représentativité sectorielle de l’Aleba. En mars 2019, cette dernière avait échoué de peu à obtenir 50% des suffrages des employés du secteur financier aux élections à la Chambre des salariés (CSL), l’un des critères retenus par la loi pour conserver la représentativité.

Le syndicat perd ainsi sa capacité à négocier et signer seul les conventions collectives conclues avec le patronat dans la banque et l’assurance, des activités au cœur de l’économie luxembourgeoise. Le ministre fonde sa décision sur le fait que l’Aleba n’avait recueilli que 49,22% des voix dans le groupe 4, celui des « services et intermédiation financiers », à la CSL. L’Aleba, qui célébrait son centenaire en 2018, demeure néanmoins la première organisation de salariés du secteur devant l’OGBL (31,58% lors du même scrutin) et le LCGB (19,2%). En termes de délégués syndicaux dans les entreprises, l’écart est encore plus favorable à l’Aleba puisqu’aux mêmes élections sociales de mars 2019, le syndicat décrochait 30% des délégations syndicales contre 15% à l’OGBL et 11% au LCGB. 

« Une décision politique »

L’Aleba s’estime donc légitime à défendre les intérêts des quelque 50.000 salariés du secteur et a dénoncé vendredi « un triste jour pour la liberté syndicale au Luxembourg », accusant Dan Kersch d’avoir « pris une décision politique » en faveur de l’OGBL.

Il faut dire que le coup asséné par le ministre du Travail est rude pour l’Aleba et ses 8.500 membres qui se voient privés de leur pouvoir de négociation sectorielle. Ce qui pourrait se transformer en aubaine pour l’OGBL et le LCGB qui espèrent récupérer dans leurs rangs une partie des effectifs de l’Aleba. Cela sonne aussi comme un petit air de revanche après les élections sociales de 2019 où l’OGBL avait été particulièrement déçu par ses résultats dans le secteur financier. 

Mais pourquoi avoir attendu deux ans après les élections sociales pour retirer sa représentativité à l’Aleba ? Interrogé vendredi, le ministre socialiste s’est défendu en avançant qu’il l’avait d’abord maintenu après une rencontre avec les dirigeants du syndicat en avril 2019, tout en leur précisant qu’il serait contraint par la loi de la retirer en cas de réclamation d’un autre syndicat. En somme, Dan Kersch reconnaît avoir pris en 2019 une décision contraire à la loi tout en faisant planer une épée de Damoclès sur la tête du syndicat. Vendredi toujours, il a affirmé qu’il était revenu sur sa parole en se fondant sur « un rapport circonstancié » commandé à l’Inspection du travail et des mines (ITM) » et qu’il ne pouvait pas, en 2021, s’opposer à une loi dont il avait déjà connaissance en 2019 ! L’argumentation s’avère quelque peu alambiquée.

Contexte tendu dans le secteur

Sa décision fait suite aux hostilités déclenchées par l’OGBL à l’automne dernier. Le 10 novembre 2020, l’Aleba annonçait avoir conclu un accord de principe avec l’ABBL, l’organisation patronale bancaire, et l’ACA, son équivalent dans les assurances, afin de reconduire pour trois ans la convention collective signée en 2018 après de rugueuses négociations. Cette annonce avait provoqué une vive réaction de l’OGBL, Véronique Eischen, membre du bureau exécutif, estimant notamment que « l’Aleba sont les idiots utiles de l’ABBL ». Rejoint par le LCGB, l’OGBL jugeait cet accord contraire aux intérêts des salariés car il reconduisait la précédente convention collective sans aucune amélioration. Bien que l’Aleba avait alors précisé que rien n’était signé, OGBL et LCGB lançaient la démarche auprès du ministre du Travail visant à lui retirer sa représentativité sectorielle. Ce qu’ils ont donc fini par obtenir vendredi. 

L’Aleba n’entend cependant pas baisser les bras. Le syndicat va contre attaquer « sur le terrain national et international » pour recouvrer sa représentativité, a indiqué son secrétaire général, Laurent Mertz. La riposte devrait se jouer devant la justice administrative au Luxembourg mais aussi devant l’Organisation internationale du travail (OIT), une agence de l’ONU basée à Genève. 

Quoi qu’il en soit, cet épisode est sans précédent : jamais des organisations de salariés ne s’étaient aussi frontalement opposées en s’accusant mutuellement de briser l’unité syndicale. Cette rupture intervient dans un contexte particulièrement tendu dans le secteur, Commerzbank ayant annoncé sa fermeture en 2024 et les plans sociaux se multipliant dans ce secteur en pleine mutation. 

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