Elle a le sens du cadre, des couleurs, du détail qui accroche l’œil. Mais surtout, Tanita sait capter l’âme de ses sujets, qu’ils soient humains, canins ou conceptuels. Née en Ukraine, passée par la presse, la photographie de luxe en Méditerranée et aujourd’hui installée au Luxembourg, l’artiste visuelle multiplie les projets ambitieux et les expositions engagées. De ses débuts dans un journal local à ses publications dans PhotoVogue ou ses apparitions à PhotoBasel, elle trace un chemin singulier, rêveur mais déterminé. Rencontre.
Propos recueillis par Alina Golovkova / Photos : Tanita
Tanita, parlez-nous un peu de vous. D’où venez-vous, comment étiez-vous enfant, et comment s’est passée votre enfance ?
Je suis née en Ukraine, dans une petite ville du centre-ouest du pays qui compte un peu plus de 15 000 habitants. Depuis mon plus jeune âge, j’ai été captivée par l’art et la musique. J’adorais lire, me plonger dans les biographies de personnalités inspirantes, et jouer du violon. Un jour, sans même en parler à mes parents, je me suis inscrite seule à l’école de musique. Intuitivement, je savais qu’ils accepteraient ma décision et me soutiendraient — ce qu’ils ont fait. C’est ainsi que mon parcours artistique a véritablement commencé.
Pendant mes années d’école, je rêvais de devenir journaliste. Je passais des heures à lire, à écrire des articles, à remplir les pages de mon journal intime de récits. Quand je suis entrée à l’université, une opportunité incroyable s’est présentée à moi : j’ai décroché mon premier emploi dans un journal local. J’étais sur un petit nuage !
Comment la photographie est-elle entrée dans votre vie ?
Tout a commencé lorsque j’écrivais des articles pour les rubriques “Showbiz” et “Culture” dans différentes maisons d’édition. En parallèle, je photographiais mes invités, en essayant de capturer des moments qui racontaient leur propre histoire. Mes premières amours en photographie ont donc été les portraits et les reportages. Contrairement à beaucoup de photographes qui commencent par la nature ou les paysages, moi, ce sont les visages, les émotions et les histoires non dites des gens qui m’ont attirée.
Pourquoi avoir quitté l’Ukraine pour le Luxembourg ?
Tout a commencé un peu par surprise, lorsque, lors de notre premier rendez-vous, un homme m’a demandé si je pouvais envisager de venir vivre au Luxembourg avec lui. Je n’ai pas pris la question trop au sérieux au départ, car j’avais déjà des contrats d’été en Turquie et en Grèce, où je travaillais depuis plusieurs saisons comme photographe dans des hôtels de luxe. Tout quitter n’était pas une décision facile, donc je n’ai pas précipité les choses.
Mais il a insisté. Il venait me rendre visite dans différents pays pendant mes congés, et me parlait toujours de Luxembourg, de ce que pourrait être la vie ici. Finalement, début mars 2020, j’ai décidé de faire le grand saut. Et peu après mon arrivée, le confinement lié à la COVID-19 a commencé.
Comment avez-vous vécu cette première année ?
Ce fut extrêmement difficile. Je ne pouvais ni rencontrer de nouvelles personnes, ni travailler. Après des années de voyages constants et de séances photo intenses, j’avais l’impression de vivre sur une autre planète. Ce fut un choc total. Le contact humain me manquait tellement que j’ai même envisagé de travailler dans un café ou de vendre des vêtements, juste pour être entourée.
Mais j’ai trouvé un moyen de rester créative : j’ai lancé des séances photo à distance via des applications, en utilisant la caméra de mon téléphone et en me connectant à des gens du monde entier. J’ai aussi continué mes études à la British School of Photography, réalisé des projets artistiques pour des magazines et rêvé à de futures expositions. Je suis une grande rêveuse.
Comment définiriez-vous votre style photographique ?
Sur le plan commercial, je fais principalement de la photographie de mode et de portrait. Dans le monde artistique, je suis une artiste visuelle contemporaine, connue pour l’utilisation de la couleur et des masques dans mes œuvres.


Parlez-nous de votre projet “Being Human”, où des chiens sont photographiés dans des vêtements humains.
L’idée m’est venue en voyant le dalmatien d’une amie. À mes yeux, elle ressemblait à Milady dans un film. Je l’ai donc transformée en personnage : “Madame Coco”. La photo a reçu beaucoup d’attention et de retours positifs, et les gens ont commencé à me demander d’habiller d’autres chiens en fonction de leur personnalité. C’est ainsi que la série est née.
Vous avez participé à “Luxembourg for Ukraine”. Quel rôle pensez-vous que les artistes jouent en temps de crise ?
Quand j’ai donné une de mes œuvres pour la vente aux enchères caritative organisée dans le cadre de “Luxembourg for Ukraine”, j’ai eu l’impression de poser un petit geste, mais significatif, pour soutenir mon pays et mon peuple dans une période très douloureuse. Je crois que l’art peut guérir, rassembler et inspirer l’action. En temps de crise, les artistes deviennent des conteurs de l’espoir.
Cette année, nous soutenons le projet Tytanovi, qui fournit des prothèses et des soins de réhabilitation aux Ukrainiens ayant perdu un membre à cause de la guerre.
Vous avez été sélectionnée pour figurer dans le livre 100 Contemporary Ukrainian Photographers. Racontez-nous cette aventure.
Je participe chaque année à des concours internationaux. Il y a environ un an, j’ai répondu à un appel à candidatures lancé par le commissaire Dimitri Bogachuk et la galerie Form.gallery à Paris. Parmi des milliers de candidatures, une poignée de photographes a été sélectionnée pour figurer dans le livre 100 Contemporary Ukrainian Photographers. Le livre a ensuite été présenté à PhotoBasel, en Suisse.


C’était un immense honneur pour moi d’être publiée aux côtés de tant de talents. Aujourd’hui, l’ouvrage fait partie de la collection de photographie contemporaine de Martin Parr, conservée au Tate Museum.
Vous avez aussi été publiée dans PhotoVogue. Comment cela s’est-il passé ?
C’était pendant la période COVID, où je mettais toute mon énergie dans la création. J’ai commencé à soumettre certains de mes projets personnels et conceptuels sur leur plateforme. Quand mes premières photos ont été acceptées, j’étais folle de joie.
Ce que j’aime chez PhotoVogue, c’est que ce n’est pas juste une vitrine — c’est une communauté mondiale de conteurs visuels audacieux et sensibles. Faire partie de cet espace m’a poussée à repousser mes limites, à expérimenter, à faire confiance à mon instinct artistique.
Peu de gens le savent, mais si plus de dix de vos photos sont sélectionnées par les éditeurs et figurent dans la liste “Best of PhotoVogue”, vous avez l’opportunité d’avoir une exposition en ligne et même d’être publiée dans Vogue Italia.
Parmi toutes vos expositions, laquelle vous a le plus marquée ?
Je dirais PhotoBasel, pour son rayonnement international et la qualité des œuvres exposées. Mais chaque exposition est une étape importante. Par exemple, j’ai récemment participé à une exposition collective intitulée “4 Dimensions”, à la Fondation Valentiny. Quatre photographes y étaient présentés, chacun avec sa propre vision.


J’ai travaillé pendant un an sur cette exposition. J’y ai présenté mes projets Reflection, Ukrainian Legends, mais aussi deux nouvelles séries : Majestic Women of the World et What’s in Your Bag, Artist?. Pour Majestic Women, j’ai collaboré avec le styliste Vadym Niedielin. Certaines œuvres ont reçu des mentions honorables aux BIFA 2024 (Budapest), TIFA 2024 (Tokyo) et aux International Photo Awards 2023 et 2024.
Mais ce qui m’a le plus touchée, c’est l’énergie des visiteurs venus me soutenir : amis, artistes, curieux — tous ont apporté chaleur et bienveillance.
Quels sont vos rêves ou ambitions pour la suite ?
Mon ambition est simple mais profonde : rester inspirée, passionnée et créative jusqu’à la fin de ma vie. Mon rêve le plus proche serait d’exposer à l’international, notamment à Miami et à Londres, et de collaborer avec des artistes venus de différents pays. J’aime les défis, la nouveauté, me réinventer.
Comment voyez-vous le rôle du photographe aujourd’hui, dans un monde saturé d’images ?
Être photographe aujourd’hui, ce n’est plus seulement faire une belle image. C’est créer quelque chose de signifiant, d’authentique, d’émotionnellement vrai. Avec la quantité d’images qui nous entoure, il ne suffit plus de documenter. Il faut innover, expérimenter, explorer de nouvelles technologies et disciplines : mode, design, art numérique…
Des médiums mixtes à la photographie générée par IA, en passant par les portraits cinématographiques ou les shootings virtuels, la créativité s’étend dans toutes les directions. Et ça, c’est passionnant.
Si vous pouviez collaborer avec n’importe quel artiste ou maison de mode, qui choisiriez-vous ?
J’aurais adoré collaborer avec Karl Lagerfeld. Il n’était pas qu’un styliste, c’était un visionnaire qui savait mêler mode, photographie et histoire. Je suis fascinée par la manière dont il dirigeait et stylisait ses propres shootings, avec sa chatte Choupette, son univers fantaisiste et structuré. C’est dommage qu’il ne soit plus parmi nous.
Et Jacquemus, bien sûr ! Tout simplement parce que cette maison est un génie du marketing. Son univers est fait de pur surréalisme, et j’adore ça. Stay and play.
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