Incertitudes économiques et géopolitiques mondiales, fluctuations des marchés financiers, pénurie de main d’œuvre et de logements… Quels en sont les impacts sur les décisions d’embauche des entreprises et des candidats ? Comment les professionnels du recrutement s’adaptent-ils à ces nouvelles tendances ? Héloïse Buring, Associate Director au sein du cabinet de recrutement d’experts et de dirigeants Morgan Philips, revient sur les grands changements qui marquent le marché de l’emploi luxembourgeois en 2025.

Rédaction : Marc Auxenfants

Héloïse Buring, quelles sont selon vous les grandes tendances du marché de l’emploi luxembourgeois en 2025 ?

En ce début d’année, les tendances fortes suivantes se dessinent au Luxembourg : des mouvements de restructuration avec des licenciements économiques et une délocalisation de certains départements vers des pays à moindre coût ; une réduction globale des coûts dans les entreprises ; des changements dans le management de certaines structures, générant un climat d’incertitude pour les salariés ; une optimisation des processus afin de gagner en productivité sans forcément recruter de nouveaux collaborateurs ; une intégration progressive des outils d’intelligence artificielle. Les entreprises ont beaucoup recruté après la pandémie, mais la dynamique est aujourd’hui bien différente. Les opportunités sont moins nombreuses, tandis que le nombre de candidats à l’écoute – notamment parmi les profils expérimentés et exécutifs – augmente sensiblement, ce qui n’était pas le cas l’an dernier.

En quoi ces tendances divergent-elles de celles constatées en 2024 ?

Alors qu’entre le premier et le troisième trimestre 2024, la tendance restait très orientée vers le recrutement, nous avons commencé à ressentir un ralentissement fin 2024, avec un vrai changement marqué par une bascule progressive vers plus de prudence. Et même si le Luxembourg reste un marché dynamique, il est probable que le volume de recrutements soit cette année inférieur à celui de 2024. L’incertitude économique mondiale, combinée aux fluctuations des marchés, freine nettement les décisions d’embauche.

Quels sont les métiers et compétences les plus recherchés par les entreprises ?

Je peux surtout répondre selon mon domaine d’expertise, en lien avec les fonds d’investissement, les sociétés commerciales et industrielles, ainsi que les holdings. Les profils actuellement les plus recherchés sont : les professionnels de la comptabilité, toujours très en pénurie, surtout ceux ayant une expérience au Luxembourg – ce sont aussi des postes qui attirent de moins en moins ; les corporate officers et les paralégaux ; les consultants spécialisés ; les compliance officers ; les profils IT, notamment ceux ayant des compétences en cybersécurité ou en data. Outre les compétences techniques, les entreprises attachent une importance croissante aux soft skills et aux compétences digitales. Ainsi, une maîtrise insuffisante d’Excel ou l’incapacité à travailler en anglais peuvent constituer de véritables freins. Sur le plan humain, les recruteurs recherchent des candidats flexibles, autonomes, capables de prendre des initiatives, dotés d’un bon sens de la communication et à l’aise dans le travail en équipe.

La pénurie de logements, notamment abordables, est-elle un frein pour le recrutement aujourd’hui ?

Elle affecte directement l’attractivité du pays, notamment auprès des candidats internationaux qui envisagent de s’y installer. Il n’est pas rare que des talents déclinent des opportunités professionnelles au Luxembourg après avoir constaté le niveau élevé des loyers ou la difficulté à trouver un logement décent. Aujourd’hui, cette question est devenue centrale dans le processus de décision des candidats. Même lorsque les entreprises proposent une assistance à la relocation, cela ne suffit pas toujours à compenser les coûts très élevés du marché immobilier local. Si nous voulons préserver l’attractivité du Luxembourg et fidéliser les talents, il est impératif de développer une offre de logements à des prix raisonnables, incluant non seulement des studios ou appartements pour une personne, mais aussi des habitations pensées pour des familles.

Qu’est-ce qui a changé en matière de recrutement ces dernières années ?

Le processus de recrutement est devenu plus hybride, mêlant entretiens en présentiel et en visioconférence. Certains de mes clients réalisent l’ensemble du processus à distance, notamment lorsque les interlocuteurs sont basés dans différents pays. On observe aussi une montée en puissance des tests de personnalité, des mises en situation ou des cas pratiques pour évaluer les compétences.

Quid des attentes des candidats ?

Le mindset des candidats a lui aussi beaucoup évolué. D’après les sondages que je mène régulièrement, la flexibilité (horaires, télétravail) est aujourd’hui le critère numéro un, devant le salaire et les perspectives d’évolution. Les candidats recherchent des employeurs qui leur offrent de vraies perspectives à long terme, tout en faisant preuve de confiance et d’ouverture.

“Aujourd’hui, le bien-être au travail n’est plus un « plus », c’est une exigence.”

– Héloise Buring, Associate Director chez Morgan Philips

Et ce qui compte pour la génération Z, c’est avant tout de travailler dans une entreprise porteuse de sens, qui valorise l’équilibre entre vie professionnelle et personnelle. Ils ne sont pas nécessairement en quête de responsabilités managériales, mais recherchent plutôt de la flexibilité, de l’autonomie et un environnement de travail aligné avec leurs valeurs.

Certains employeurs peuvent ressentir une certaine difficulté à mobiliser cette génération sur des sujets plus traditionnels, ou à obtenir d’eux un engagement au-delà des horaires contractuels. Cela ne reflète pas un manque de motivation, mais plutôt une autre conception du rapport au travail, où la qualité de vie prend une place centrale.

Et inversement, qu’attendent les entreprises vis-à-vis des cabinets de recrutement ?

Plus que jamais, au Luxembourg, les entreprises attendent un véritable partenariat. Elles comptent sur les cabinets de recrutement pour les accompagner dans la durée, les conseiller notamment sur les niveaux de rémunération ou les évolutions du marché.

Nous avons récemment réalisé plusieurs études sectorielles (banque, assurance, fonds alternatifs) et les dernières tendances que nous observons confirment une progression modérée des salaires dans le secteur des fonds d’investissement en 2024 – une dynamique qui semble se poursuivre en ce début d’année 2025 et qui traduit un marché encore sous tension, où les ajustements salariaux restent mesurés malgré les enjeux de fidélisation des talents.

Côté candidats, nous considérons qu’il faut aller bien au-delà du CV : en cherchant à comprendre qui ils sont, ce qu’ils aiment, comment ils envisagent leur avenir. Ces éléments sont essentiels pour nos clients, qui recrutent de plus en plus pour une intégration culturelle, au-delà des compétences techniques.

“On observe une montée en puissance des tests de personnalité, mises en situation ou cas pratiques pour évaluer les compétences.”

– Héloise Buring, Associate Director chez Morgan Philips

Aujourd’hui, plus que jamais, le bien-être au travail n’est plus un « plus », c’est une exigence. Travailler, oui, mais pas à n’importe quel prix. Le travail doit permettre de vivre dignement, pas devenir le centre absolu de l’existence. Pour attirer les talents, il faut d’abord savoir les garder. Cela passe par un climat de confiance, une culture du feedback et une organisation qui respecte les besoins humains de ses collaborateurs. Recruter, c’est essentiel. Fidéliser, c’est vital.

Comment les professionnels du recrutement s’adaptent-ils à ces nouvelles attentes ?

Chez Morgan Philips, nous privilégions une approche qualitative. Même lorsque nos clients ont peu de besoins, nous les accompagnons, que ce soit par le biais d’études de rémunération ou en partageant des tendances du marché.

Côté candidats, nous prenons le temps de les rencontrer, en présentiel ou en visioconférence, pour bien comprendre leurs attentes. Cette année, on ressent davantage de découragement chez certains profils après plusieurs mois de recherche infructueuse. Il est essentiel d’être présent, d’écouter, de les aider à améliorer leur CV ou leur profil LinkedIn, de les conseiller et de leur proposer des pistes concrètes.

Nous utilisons également de plus en plus d’outils technologiques, notamment l’intelligence artificielle, pour créer des contenus vidéo ou optimiser notre visibilité. Personnellement, j’aime beaucoup communiquer sur les réseaux sociaux, à travers des articles, des sondages ou des partages de bonnes pratiques. Cela permet de faire vivre mon réseau et d’apporter de la valeur.

Interview initialement publiée dans le Femmes Magazine numéro 266 de mai 2025.