Texte : Cadfael

Que vaut la liberté, notre liberté et à combien de pas sommes-nous d’une société de surveillance totale ? Une question qui devrait nous concerner, car en dépendent les fondements mêmes d’une démocratie humaniste au quotidien et l’avenir de nos enfants.

Une technologie redoutable

Notre planète est devenue depuis longtemps le « village global » dont parlait Marshall McLuhan dans son ouvrage éponyme publié en 1989, il y a de cela des années-lumière en termes anthropologie numérique. Il y constatait que « les technologies électroniques ont commencé à détruire la différenciation entre espace interne (le domicile) et externe ». 

Le meilleur symbole n’est-il pas que notre image ne nous appartient plus. On peut le lire sur le site de Clearview.ai, société new yorkaise, le fin du fin en la matière de reconnaissance faciale qui dispose d’une base de données de plus de trois milliards de photos. Elle les a piochées sur les réseaux sociaux, le web, photos de police et ailleurs. Elle est sous contrat d’agences fédérales, d’universités, de l’armée du FBI, et autres privés. Pour la modique somme de 2000 dollars par mois une société peut avoir recours à ses services. Dans un contexte d’une démocratie fonctionnant bien avec ses contrepouvoirs, ces technologies, qui méritent une surveillance parlementaire pointilleuse, sont d’une efficacité redoutable. Entre le mains d’un gouvernement à la Trump ou à la Erdogan elles deviennent une arme de destruction massive des libertés comme l’illustre la Chine.

La reconnaissance ethnique

Selon le site Bloomberg d’avril 2020, la multinationale Huawei et MEGVI une start-up chinoise aux revenus de 409 millions de dollars dont la maison mère est Alibaba Group Holdings ont déposé en juin 2019 un brevet sur logiciel offrant une classification ethnique basée sur la reconnaissance faciale. Le système serait capable d’émettre des alertes dans une foule identifiant 15 personnes par seconde dans une station de métro avec un taux d’erreur de 0.3 %.

Parmi les brevets de Huawei, MEGVI ainsi que d’autres sociétés chinoises du secteur, on en trouve beaucoup concernant des technologies et des matériels capables reconnaitre des Ouighours à leur tête, le délit de « sale gueule » affiné numériquement. Ils disposent d’algorithmes incluant une fonction « alarme ouighour » et sont capables de reconnaitre et de trier également d’autres ethnies afin de les différencier des Hans, l’ethnie majoritaire.

Les « ouighours analytics » 

Selon le site américain « IPVM.com » autorité incontestée en analyse et surveillance de vidéo technologies, un des brevets en matière de « ouighour analytics » est déposé par Huawei en commun avec l’Académie des Sciences Chinoise qui dispose d’un budget annuel de 2 milliards de dollars. L’algorithme sélectionne selon des critères de « race », les ouighours étant classifiés comme une race. CNBC de janvier dernier cite l’ambassade de Chine à Washington selon laquelle le gouvernement américain crée en la matière, de la désinformation afin de bloquer le développement de la Chine. 

C’est en contradiction totale avec les divers rapports de l’ONU et d’Amnesty International qui montrent une réalité différente concernant la répression sur les ouïghours. Un million de ouighours sont détenus dans des camps de « contre-extrémisme » et deux millions dans des « camps de rééducation. »

Les chinoises Huawei, MEGVI et d’autres ont été mises sur liste noire par les Etats-Unis pour diverses raisons dont celles du traitement des ouïghours. Elles se sont bien-sûr excusées en prétendant neutraliser ces critères ethniques. 

L’Europe a la mémoire courte

Il aura fallu longtemps à l’Union Européenne pour condamner la Chine en la matière préférant les sacro-saints intérêts économiques à des considérations sur les droits de l’homme et la liberté. La présidente de la Commission est pourtant bien placée pour se souvenir des paroles du pasteur Niemöller :

« Quand les nazis sont venus chercher les communistes, je n’ai rien dit, je n’étais pas communiste. 

Quand ils ont enfermé les sociaux-démocrates, je n’ai rien dit, je n’étais pas social-démocrate. 

Quand ils sont venus chercher les syndicalistes, je n’ai rien dit, je n’étais pas syndicaliste. 

Quand ils sont venus me chercher, il ne restait plus personne pour protester. »