Dior, Gucci, Chanel, Cartier, et plus récemment Balmain… Les maisons de luxe sont de plus en plus nombreuses à lancer leur propre podcast. Un moyen d’expression qui leur a permis de maintenir le lien avec leurs clients pendant la pandémie, et qui se veut également plus intimiste, plus profond, voire parfois plus engagé, comme l’explique Nathalie Lemonnier, fondatrice du cabinet de conseil en stratégie digitale et relation client Lemon Think. Décryptage d’un phénomène qui n’en est qu’à ses débuts.

Les marques de luxe lancent toutes leur podcast. Est-ce devenu un nouvel outil de communication incontournable pour les acteurs de la mode ?

Je ne sais pas si l’on peut dire qu’il est devenu incontournable, mais c’est en tout cas un des moyens de communication qui s’offrent aux maisons de luxe aujourd’hui. D’une façon générale, le podcast remporte un franc succès dans tous les domaines. C’est un nouveau moyen d’expression, un nouveau média, et ça correspond bien à la mobilité et au fait qu’on ne se déplace plus sans son téléphone. C’est un moyen de s’informer qui est très intéressant, et ça permet aussi de toucher des audiences qui sont différentes de celles des autres médias. Tout cela n’a pas échappé au luxe qui a essayé de s’approprier ce nouveau moyen d’expression. On a énormément d’exemples avec Dior, Gucci, Cartier, Guerlain, ou Chanel, qui l’ont utilisé de manières différentes à ce jour, que ce soit pour exprimer leurs propres valeurs, ou entamer un dialogue avec des clients, des experts, voire des célébrités.

Quel rôle a joué la crise sanitaire dans la montée en puissance de ce nouveau média ?

Il y avait déjà des podcasts avant puisque Guerlain s’est associé à La Poudre (podcast animé par Lauren Bastide, ndlr) dès 2018, et a ensuite lancé son propre podcast Olfaplay la même année où il était question d’une véritable interaction avec des clients qui racontaient leurs souvenirs olfactifs. Il en existait donc déjà avant la crise, mais beaucoup ont effectivement émergé depuis. La pandémie a permis de multiplier les expériences. De nombreuses maisons de luxe ont notamment essayé de maintenir le lien avec les clients. Il était déplacé de parler des produits, surtout au début de la crise où on n’avait aucune visibilité, mais il a fallu malgré tout maintenir un lien; ce qu’a permis le podcast. Ce qui est intéressant également, c’est que le podcast est un média de l’intimité. Comme tout le monde était chez soi, parfois isolé, c’était aussi un moment opportun de pouvoir entrer en relation, non pas uniquement avec les clients, mais avec toute une communauté d’intérêt autour des marques.

Qu’est-ce qui différencie le podcast de la communication délivrée par les marques sur les réseaux sociaux ?

Sur les réseaux sociaux, les marques s’adressent à une audience plus large, alors que le podcast est justement plus intime, et permet d’aller plus loin. Avec les réseaux sociaux c’est un peu du ‘fast content”, tandis qu’avec le podcast on peut traiter une thématique spécifique et ça peut durer beaucoup plus longtemps; ce qui permet d’aller plus en profondeur sur un sujet. En ça, podcasts et réseaux sociaux peuvent être complémentaires. 

S’agit-il d’un moyen pour les marques de communiquer sur leurs engagements ?

C’est vrai que le podcast peut permettre d’exprimer des valeurs, mais les marques le font également via les contenus de leur site, les réseaux sociaux, voire pendant les défilés. Mais encore une fois, il permet d’aller plus loin. C’est le cas des Dior Talks. On y retrouve cette valeur de féminisme qui a été lancée pendant les défilés, mais on va aller plus loin puisqu’il y a notamment des interviews de nombreuses personnalités sur le sujet. Finalement, on est dans la continuité, puisque les marques ont désormais plusieurs façons de s’exprimer : le défilé, qui peut déjà être porteur de valeurs, puis le podcast, qui va permettre de creuser le sujet. Cela permet vraiment à la marque d’aller plus loin dans l’expression de ses valeurs.

Il y a le cas particulier de Bottega Veneta qui a quitté les réseaux sociaux, non pas pour lancer un podcast, mais son propre journal digital. Comment expliquer ce choix ?

On va peut-être passer du ‘fast’ au ‘slow’. Je pense que la volonté de Bottega Veneta a vraiment été la distinction, et le fait d’arriver avec des nouveaux formats. Tout va très vite désormais avec les réseaux sociaux, et tout se démode très vite aussi. C’est pour cela que l’on voit émerger énormément de nouveaux formats. Il y a une espèce de course à la nouveauté, et peut-être que tout d’un coup la maison Bottega Veneta s’est dit qu’elle allait revenir à un rythme un peu plus lent. Ca a été très surprenant de voir qu’elle quittait tous les réseaux sociaux, car c’est une marque qui est en pleine croissance et qui connait le succès. On peut penser qu’avec le journal digital on se dégage en quelque sorte de la masse et des médias pour créer son propre média. 

Doit-on s’attendre à ce que les marques lancent peu à peu leur propre média ?

Pas forcément, mais ça me fait finalement penser aux magazines papier qui existaient auparavant. Hermès ou Cartier, par exemple, publiaient des magazines plusieurs fois par an avant les réseaux sociaux, avec des thématiques sur le savoir-faire, le lifestyle, etc. C’est finalement un peu une réinterprétation de ces magazines, qui sont digitalisés, donc auxquels on va apporter plus de richesse en termes d’expression artistique. Ce sont des espèces de cycles avec des contenus qui s’adaptent aux formats qui sont disponibles. Avec les réseaux sociaux, on était dans une sorte de course avec pléthore de contenus rapides, et c’est finalement comme si Bottega Veneta avait appuyé sur le frein avec la volonté de prendre son temps et de s’exprimer différemment. C’est un peu un retour sur cette accélération que les réseaux ont amplifiée. Et peut-être que ce n’est pas le temps du luxe, qui est naturellement plus lent.

Est-ce que ces nouveaux médias sont un moyen de fuir les réseaux sociaux où la Gen Z semble avoir tous les pouvoirs ?

La reprise de pouvoir des marques, c’est possible, car avec ces nouveaux médias elles sont dans leur propre environnement. C’est donc beaucoup plus protecteur. Elles contrôlent de fait leurs contenus, et leur environnement. Mais quoiqu’il arrive, si les marques ne sont pas transparentes ou ne respectent pas leurs engagements, choses importantes pour cette jeune génération, elles auront beau maîtriser leurs contenus, elles pourront de la même manière que sur les réseaux sociaux être mises à mal. On exige aujourd’hui des marques de la transparence et de l’authenticité, des qualificatifs qui vont bien aux maisons de luxe. Cependant, on leur demande désormais d’aller plus loin et de s’engager socialement et écologiquement, et pour le coup, on sait très bien que la mode est un secteur très polluant… Donc elles doivent travailler sur cet aspect-là. Mais quel que soit le moyen de communication, elles se doivent de respecter leurs engagements et leurs valeurs car elles sont normalement exemplaires. Elles ne peuvent pas tricher. 

L’audio fera-t-il partie intégrante du futur de la mode ?

Le son et la voix sont d’une manière générale en train de se développer, et sont entrés dans notre environnement puisqu’on les utilise, par exemple, pour faire certaines recherches que l’on faisait avant sur un clavier. Il y a cet aspect-là, dans le cadre des habitudes que nous avons, et il y a aussi l’aspect dialogue, qui peut être un dialogue écrit sur les réseaux sociaux avec une interaction, mais qui peut aussi être au coeur d’un podcast dans lequel on donne la parole à des clients lambda, et pas des célébrités ou des influenceurs. C’est donc aussi une occasion de rencontre, et d’échange avec des vrais clients. Le podcast permet aussi de raconter ce qu’il se passe dans les coulisses du luxe. On pourrait imaginer les bruits d’un atelier, ou les sons perçus en backstage d’un défilé; cela pourrait permettre de faire découvrir toutes ces choses qui font rêver en utilisant l’émotion. 

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