Texte par Cadfael

À partir du moment où vous allumez votre ordinateur, votre tablette, votre téléphone, que vous lisez vos mails, surfez sur les réseaux sociaux, écoutez de la musique, faites vos courses avec la fonction géolocalisation de votre téléphone activée (inconsciemment par exemple via l’un de vos réseaux sociaux), bref, dès lors que vous vivez votre vie de tous les jours, vous produisez de la matière première pour les sociétés actives sur le marché des mégadonnées. 

Bruxelles et le Big Data…

Tous vos actes sont enregistrés, que ce soit l’utilisation de votre carte de crédit et sa fréquence, les consultations de vos mails et réseaux sociaux ainsi que tous les détails des mouvements de votre souris, les photos mises sur les réseaux sociaux ou simplement les cycles désactivation-activation de votre PC, la marque de votre PC, le type de logiciel, l’endroit… où se trouve votre téléphone mobile, votre GPS-voiture, … tous vos actes laissent des traces numériques qui sont stockées, décortiquées, à votre insu, parfois de manière neutre tout en permettant de réaliser votre profil ainsi que des millions d’autres dans les grandes longueurs. 

Les gouvernements, institutions publiques et parapubliques, PME, grandes entreprises, tous produisent des données et tentent de les capter afin de les exploiter. En Europe, sur un plan national, chaque pays dispose de sa réglementation protégeant, interdisant et autorisant l’exploitation et la monétarisation des données privées et institutionnelles de manière plus ou moins contrôlée. Toutes ces données ont une valeur marchande car elles permettent de mieux connaître les consommateurs. Ainsi il est plus aisé de satisfaire leurs pulsions et désirs, commerciaux, politiques et économiques.

Des enjeux financiers de taille

Si on en croit les chiffres de l’ « IDC corporation », la plus grosse société mondiale en traitement et exploitation de données, créée en 1964 aux États-Unis, le marché du « big data and business analytics (BDA) » représentait en 2019 une valeur de 219 milliards de dollars, en progression de 12% par rapport à l’année précédente. Et cette croissance va se maintenir malgré et surtout à cause du Covid. Pour 2022 ce marché est estimé à 274 milliards de dollars. Selon IDC, les États-Unis représentent le marché le plus important avec un chiffre d’affaires de 100 de milliards suivis par le Japon et la Grande Bretagne avec des revenus générés supérieurs à 9 milliards par an. Vient ensuite le marché allemand qui pèse autour de 8 milliards de dollars. Au niveau mondial deux tiers des revenus en BDA sont générés par des sociétés de plus de mille employés et 25 % par des PME.

Les gros utilisateurs de big data sont des sociétés comme – T on line-, les sites de musique, American Express, BDO, Starbucks, Netflix, Amazon pour n’en citer que quelques unes listées sur le site ICAS, institution professionnelle d’experts comptables anglais. 

Une stratégie européenne douteuse

Sur le plan trans-national l’Union Européenne s’en sortait jusqu’à présent assez bien en ce qui concerne la protection des données de ses citoyens et des administrations publiques par le biais d’une « régulation générale de protection des données » qui date de 2016.

En février de cette année, en plein Covid, la Commission européenne publie, dans la discrétion la plus absolue et sans réactions notables des médias, un document intitulé anodinement : « une stratégie européenne pour les mégadonnées. » (a european strategy for data)

Le but de cette stratégie est clairement énoncé :« L’UE peut devenir un modèle de premier plan pour une société à laquelle les données confèrent les moyens de prendre de meilleures décisions, tant dans les entreprises que dans le secteur public. » Elle vise : « l’utilisation des informations du secteur public par les entreprises /../ L’ouverture des informations détenues par les pouvoirs publics. Les données ont été produites avec des fonds publics et devraient donc bénéficier à la société. » Elle veut mettre en place le « partage et utilisation de données privées détenues par d’autres entreprises» et évidemment le « partage et utilisation de données privées par les pouvoirs publics »

A cette fin la Commission espère, selon le document cité plus haut, mettre en place un« cadre législatif générique pour la gouvernance des espaces europeéens communs des données au quatrième semestre 2020, » le but étant de mettre à terme en place un espace commun dans lequel on pourra avoir accès à toutes les données possibles, sous certaines conditions. Ces données incluent  la santé, les finances, la mobilité, les administrations publiques etc….. « La Commission favorisera des protocoles d’accord avec les États membres d’ici au troisième trimestre 2020 ».

Une perte de droits pour les citoyens et les états

Comme le souligne le MIT Technology Review (Massachusetts Institute of Technology) dans son édition numérique du 11 août dernier, ce texte constitue un revirement important par rapport à la législation de 2016 et à la forte protection des droits individuels en Europe par rapport à la situation américaine.
Elle mentionne que cette approche de la Commission met les différents gouvernements en position de faiblesse par rapport au contrôle de leurs données. En fait, en guise de gestion et de protection, la Commission prévoit de créer un énorme pool de données sous son contrôle qui deviendra une sorte de supermarché pour les entreprises et les gouvernements. A terme, selon elle, cela représentera le plus gros marché de mégadonnées de la planète.

Pour les citoyens européens il ne restera plus qu’à faire confiance aux gestionnaires européens de cette méga banque de données qui commercialisera selon des critères mal définis. Cette appropriation par Bruxelles ne semble donner lieu à aucune compensation pour les citoyens privés. Comme le spécifie la revue du MIT, « cette nouvelle approche ne confèrera pas aux citoyens européens plus de protections de l’espace privé, ni plus de contrôle sur leurs informations » et les mesures de gestion et de protection via un système de data trust (au fonctionnement non précisée) ne donnent pas selon la revue du MIT une garantie de transparence.

L’Europe construit des Trusts, l’Amérique veut les démanteler.

La démarche de la Commission se fait dans un contexte particulier où les États Unis  réfléchissent sérieusement au démantèlement des méga structures de données telles que Facebook, Amazon, Apple, Google ou Twitter. Le pouvoir monopolistique  de ces dernières, est devenu incontrôlable et est une menace pour la démocratie. Appelés devant le Congrès le 29 juillet 2020 pour témoigner devant le « sous-comité de la maison des représentants en matière d’antitrust, commerce et droit administratif » présidé par un républician, tous ce sont présentés sauf le CEO de Twitter. L’accusation est sérieuse: avoir violé les lois anti-trust. La rapport du sous comité est attendu avec impatience. La dernière tenue de la commission antitrust remonte au scandale Microsoft en 1998.

Il convient de se souvenir de la convocation du patron de Facebook en 2018 devant le Parlement européen dans le cadre du scandale de Cambridger Analytica. Il s’agissait  du siphonage de données personnelles de 80 millions d’utilisateurs de Facebook à des fins de propagande politique. Ce jeu de grand guignol s’est soldé par une très courte apparition du patron de Facebook devant la digne assemblée et selon France 24 de l’époque, elle ne l’a pas même égratigné. Des sites comme Crunchtech analysent très bien de quelle manière Facebook et d’autres contournent les règlementations existantes afin de maintenir leur primauté par des avances technologiques sophistiquées. 

Il faudra plus qu’une nouvelle structure europeénne pour controler ces méga entreprises privées et leurs pouvoirs technologiques sophistiqués surfant dans des espaces où le droit ne pénètre que difficilement. 

L’état actuel de l’Union européenne est bien trop délétère pour pouvoir lui confier ce que l’Europe des citoyens a de plus précieux : les droits à la protection des données personnelles et l’accès aux informations concernant leur utilisation. En l’espèce, les lobbyistes ont bien fait leur travail en direction d’un marché à forte plus-value financière mais les valeurs fondamentales de notre Europe humanistes ne vont pas dans le sens d’une mise aux enchères de ce qui nous est précieux, notre liberté individuelle sous toutes ses formes…

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