Que ce soit de manière historique ou pour les avancées récentes, le Luxembourg a toujours su faire valoir son expertise en matière de propriété intellectuelle et de protection de cette dernière. Des institutions dédiées, des sociétés spécialisées, mais aussi des consultations participatives : une dynamique solide est en place, mais est-ce assez pour contrer toutes les infractions et répondre aux défis de demain… ?
Texte : Fabien Rodrigues
Noms déposés, brevets, créations locales identitaires, voire marque nationale : nombreuses sont les occasions de s’intéresser à la propriété intellectuelle au Luxembourg – et à sa protection, que l’on soit entrepreneur, créatif indépendant, passionné inventif ou simple curieux…
Un des enjeux de 2024 en matière de propriété intellectuelle au Luxembourg a été la consultation publique relative aux indications géographiques pour les produits artisanaux et industriels.
Et cela tombe bien, puisque le pays semble posséder tout ce qu’il faut pour ce faire et entretenir une relation réciproque proche avec le sujet. Avec tout d’abord, et par exemple, une institution internationale qui y siège, à savoir la Cour d’appel ainsi que le greffe de la juridiction unifiée du brevet (JUB) – active depuis l’entrée en vigueur en 2023 de l’accord européen correspondant et signé en 2013 et constituant une étape historique pour le système de protection des brevets d’invention en Europe. Parmi les 17 états contractants, le Luxembourg joue donc déjà un rôle central dans cette dynamique volontariste en matière d’harmonisation des pratiques au sein de l’Union Européenne (UE).
Des interlocuteurs locaux compétents
Mais à l’échelle nationale aussi, la propriété intellectuelle (PI) reste un sujet observé, géré et régulé de près, notamment par l’instance ministérielle compétente qu’est l’Office de la Propriété Intellectuelle (OPI), dépendant du ministère de l’Économie de Lex Delles et dont les activités législatives couvrent un large éventail de domaines liés à la PI : les brevets d’invention et certificats complémentaires de protection – dont le fameux « Brevet à effet unitaire » et la JUB, les marques, les dessins et modèles, les droits d’auteur ainsi que les indications géographiques… Outre ce rôle de législateur, l’OPI mène également des campagnes de sensibilisation et de promotion, organise des formations et des conférences et produit des outils statistiques et logistiques afin de mener sa mission de manière toujours plus complète.
Autre structure locale dédiée très importante et active : l’IPIL – pour Institut de la Propriété Intellectuelle Luxembourg, Groupement d’Intérêt Économique et « spin off » du CRP Henri Tudor, dont l’objectif est de « fédérer en un ensemble cohérent les compétences nationales et internationales concernant la propriété intellectuelle et de les mettre à disposition des acteurs économiques et institutionnels, pour constituer un levier de croissance pour le Luxembourg ». Parmi ses missions : coordonner la mise en œuvre de la politique publique et fédérer les acteurs impliqués, développer et assurer des formations ainsi que des activités de promotion et de sensibilisation ou encore conduire des projets et études afin de conseiller le gouvernement… En plus de ces organisations, certaines sociétés privées se sont également spécialisées au fil des années dans la PI pour devenir de véritables références en la matière pour les professionnels, comme l’incontournable Office Freylinger ou encore, plus récemment, Laidebeur & Partners.
Enfin, on connaît l’importance que revêt, depuis presque dix ans, Luxembourg comme marque nationale – avec sa tagline « Let’s Make It Happen ».
Avec des codes graphiques et textuels clairs, liés à des valeurs nationales et utilisés pour la promotion du pays sur son territoire comme à l’international, il est inimaginable que le tout ne soit pas protégé comme il se doit, grâce à ces compétences luxembourgeoises qui font partie, in fine, de cette Signature du Luxembourg et de son « X » bicolore si reconnaissable.
Participation citoyenne et Péckvillchen
Le nation branding pour la promotion du savoir-faire luxembourgeois était d’ailleurs l’un des sujets abordés en avril dernier à la Chambre de Commerce, à l’occasion de la 16e journée luxembourgeoise de la propriété intellectuelle. Une journée lors de laquelle une des rares nouveautés de l’année en matière de PI était largement abordée : les indications géographiques pour les produits artisanaux et industriels, un sujet qui a amené le gouvernement à organiser une consultation publique en réponse à l’absence d’intérêt exprimé au Luxembourg en faveur de la mise en place d’un système de protection national spécifique des indications géographiques pour les produits artisanaux et industriels. Alors que d’autres pays de l’UE en ont fait clairement preuve suite à l’entrée en vigueur, en novembre 2023, du nouveau règlement européen relatif à la protection des indications géographiques en question…
Ce règlement prévoit la mise en place d’un système de protection spécifique pour les produits artisanaux et industriels, inspiré du celui relatif aux indications géographiques pour les denrées alimentaires et les vins et apte à promouvoir et à valoriser le savoir-faire local, le patrimoine culturel et le territoire. Il vise ainsi à protéger de nombreux produits comme les textiles, la dentelle, le verre, la porcelaine, les bijoux, etc. Si l’on pouvait s’attendre à plus d’engouement, dans le cadre de cette consultation publique, qui s’est tenue du 26 avril au 1er juillet, 7 prises de position ont été soumises par les parties prenantes et seul un produit, le célèbre « Péckvillchen » – ce petit sifflet en terre cuite en forme d’oiseaux si populaire lors de l’Éimaischen, pourrait répondre potentiellement à la définition des produits pouvant bénéficier d’une protection au titre de ces indications géographiques pour les produits artisanaux et industriels.
De cet intérêt très relatif, le ministère de l’Économie a tiré une conclusion : il envisage en effet de solliciter une dérogation à la Commission européenne concernant la mise en place de la procédure d’enregistrement d’une indication géographique au niveau national : en effet, sous certaines conditions, « il est apparu qu’il ne serait pas justifié d’obliger les États membres à mettre en place toute l’infrastructure nécessaire à un tel système », peut-on lire dans le bilan de la consultation publique. Des moyens nouveaux donc, mais peut-être trop précoces pour la création artisanale et industrielle luxembourgeoise ?
Des progrès possibles, voire nécessaires
Cela ne surprendra personne : comme dans de nombreux domaines (tous ?), des progrès sont encore possibles en matière de protection de la PI et des infractions perdurent. C’est ce que révèle un rapport mis en place par l’EUIPO (pour European Union Intellectual Property Office) mettant en lumière certains chiffres évocateurs…
Ainsi, même si – comme nous l’avons vu – le Luxembourg semble entretenir une relation étroite avec sa PI, le nombre d’emplois et la proportion de son PIB générés par des secteurs fortement liés à la celle-ci – ou IPR-intensive industries – sont inférieurs à la moyenne européenne (respectivement 23,4% contre 29,7% et 44,4% contre 47,1%). Un autre chiffre place le Grand-Duché parmi les mauvais élèves : celui des achats de contrefaçons et téléchargements illégaux de contenus intentionnels. Ainsi, 19% des citoyens luxembourgeois (contre 13% pour l’UE) se seraient adonnés au premier et 21% (contre 14% pour l’UE) se seraient permis le second en 2023 – un chiffre qui augmente de plus chez les jeunes, avec respectivement 34% et 28% ! Un comportement que l’EUIPO chiffre en pertes pour certains secteurs clés : 58 millions d’euros et 359 emplois au total pour les secteurs du textile, des cosmétiques et des jouets pour l’année 2023.
Il semble donc que les missions et campagnes de sensibilisation et de formation mises en place par les instances luxembourgeoises compétentes aient plus que jamais une pertinence et un rôle à faire valoir, auprès des professionnels, mais aussi de la population dans son ensemble. Notamment dans une actualité occupée en grande partie par un des nouveaux enjeux ô combien challenging en matière de propriété intellectuelle : l’intelligence artificielle…
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