En 2022, moins de 30 % des adolescents luxembourgeois déclaraient être très satisfaits de leur vie, un chiffre en baisse par rapport à 2018, et plus préoccupant encore chez les filles. Ce constat, issu de l’étude HBSC Luxembourg 2022, illustre un mal-être croissant : troubles anxieux, fatigue émotionnelle, insécurité face à l’avenir… La pédopsychiatre Katy Seil-Moreels livre ici un éclairage nuancé et précieux, fruit de trente années d’expérience clinique. Elle insiste sur l’importance du cadre familial, du dialogue et sur la nécessité d’accompagner ces jeunes sans les juger.

Rédaction : Alina Golovkova

Comment va la santé mentale des adolescents aujourd’hui ?

On constate une vraie fragilisation. Même avant la pandémie, on voyait déjà une hausse des troubles anxieux, dépressifs et de la consommation de cannabis. Le Covid a été un catalyseur : isolement social, rupture de rythme, surcharge d’écrans, insécurité familiale. Depuis, les crises se sont enchaînées, et beaucoup de jeunes sont profondément inquiets pour leur avenir.

Quels sont les facteurs qui pèsent le plus sur leur bien-être ?

Le contexte global joue, bien sûr, mais le plus décisif reste l’environnement immédiat, surtout familial. Un adolescent se construit dans un rapport de sécurité. S’il perçoit ses parents comme stables, capables de faire face, il se sent soutenu. Mais si le parent décompense, subit un licenciement, est dans l’angoisse permanente, l’effet est dévastateur. Le soutien familial est le premier facteur de protection.

Les adolescents testent les limites, se ferment parfois…

L’adolescence est une phase de différenciation, de mise à distance des figures parentales. Il faut que ça bouge, que ça s’agite. C’est une étape essentielle dans la construction identitaire. On dit souvent que c’est comme un fil électrique sans gaine : tout est à vif. Les émotions sont intenses, parfois déconcertantes. Mais ce n’est pas forcément pathologique. Un ado qui ne se révolte pas du tout peut nous inquiéter tout autant.

Vous parlez aussi beaucoup de l’importance du quotidien. Pourquoi est-ce si essentiel ?

Parce que c’est dans la simplicité du quotidien que se construit la relation. Un petit-déjeuner partagé, un trajet en voiture, un dîner où on prend le temps de parler… ce sont ces moments-là qui permettent à l’adolescent de se sentir entouré, sécurisé. On n’a pas besoin de grands discours, mais de régularité, de chaleur.

Que faire quand on sent que ça ne va pas ?

Il faut avoir le courage de dire : « Je vois que ça ne va pas, je m’inquiète, on va consulter. » Sans juger, sans minimiser. Et surtout : rester disponible. Même quand ils nous repoussent, les adolescents ont besoin de sentir qu’on est là.

Quels signes doivent alerter ?

C’est la durée, l’intensité et surtout l’impact sur le fonctionnement. Si le jeune décroche à l’école, s’isole de ses amis, perd ses envies, c’est un signal d’alerte. Un changement brutal d’humeur, une perte de plaisir, une grande fatigue, des propos très négatifs sur lui-même… Il faut y prêter attention. Et ne jamais oublier que certains comportements – troubles alimentaires, agressivité, repli – sont parfois des appels à l’aide déguisés.

Comment les parents peuvent-ils être aidés ?

Au Luxembourg, plusieurs structures comme Eltereforum, la Fondation Kannerschlass, le Familljen-Center, le CePAS ou la Ligue de santé mentale proposent des ressources utiles. Malheureusement, l’offre est dispersée et peu lisible. Il manque un guichet unique, une vraie coordination entre ministères. Il est urgent de rendre ces soutiens plus accessibles.

“L’échec n’est pas une faute, mais une étape normale de l’apprentissage : il faut apprendre aux ados qu’ils ne se résument pas à des notes.”

– Dr Katy Seil-Moreels

Et les écrans dans tout cela ?

Ils font partie de leur quotidien. Mais quand ils deviennent un refuge ou une échappatoire, quand ils remplacent toutes les autres activités, ils peuvent accentuer l’isolement et l’anxiété. Pendant la pandémie, les adolescents étaient connectés en continu, y compris pour leurs cours. Aujourd’hui encore, il est difficile de retrouver un équilibre. Il ne s’agit pas d’interdire, mais de poser un cadre et surtout de parler avec eux de ce qu’ils y voient.

Les adolescents sont notamment exposés très tôt à la pornographie…

On voit des enfants exposés très jeunes, parfois dès huit ou neuf ans. Et ce qu’ils découvrent, ce n’est pas de l’éducation sexuelle, c’est une vision complètement faussée de la sexualité. Cela crée de la confusion, de l’angoisse et cela peut avoir des effets traumatiques. Il faut absolument en parler avec eux et les aider à reconstruire une image plus saine des relations.

Et concernant la pression scolaire ?

Elle est énorme. On assiste à une mondialisation des études, à des systèmes de sélection de plus en plus sévères, et cela crée beaucoup d’angoisse. Le système scolaire, au lieu de les rassurer, insiste souvent sur ce qu’il faut craindre. Or le rôle des adultes, c’est aussi de sécuriser, de dire : « Ça va aller. » C’est un message fondamental pour ces jeunes qui doutent d’eux-mêmes.

Les adolescents sont très tôt soumis à des choix d’orientation. Est-ce un problème ?

Oui, car on leur demande parfois trop tôt de choisir ce qu’ils veulent faire « pour la vie ». Or à 15, 16 ou 17 ans, ils sont encore en construction. On devrait leur laisser l’espace d’explorer, de se tromper, de recommencer. Ce qui compte, ce n’est pas qu’ils sachent tout de suite, c’est qu’ils soient soutenus dans leur cheminement. Et explorer, cela passe aussi par du concret : des expériences pratiques, des stages de découverte, des activités d’observation. Autant de leviers pour mieux comprendre ses goûts, ses aptitudes et gagner en confiance. Le message important, c’est : « Ce n’est pas grave si tu ne sais pas encore. Prends le temps d’explorer. »

Vous évoquez aussi un rapport déformé à l’échec…

Oui, on associe encore trop souvent l’échec à une faute. On parle de performance, de classement, mais pas de progression. Or l’échec fait partie du développement. On apprend en se trompant. Il faut enseigner aux adolescents qu’un mauvais résultat ne les définit pas. Ce n’est pas un verdict, ce n’est pas un échec personnel, c’est une étape normale. Une société qui valorise la curiosité, l’effort, le cheminement est une société qui fait grandir. À force de tout mesurer, on oublie que l’humain ne se réduit pas à des points.

Un mot sur la notion de consentement, essentielle aujourd’hui ?

Il faut l’aborder sans tabou, et cela tôt. Le consentement, ce n’est pas juste un oui ou un non. C’est un processus qui suppose que l’on se sente libre à chaque instant. Il faut expliquer aux jeunes qu’ils ont le droit de poser leurs limites, de dire non, même après avoir dit oui. Et qu’il est fondamental de respecter celles des autres.

Dr Katy Seil-Moreels

Interview initialement publiée dans le Femmes Magazine numéro 266 de mai 2025.