À Paris, il n’ a jamais été aussi facile de se plonger dans les cultures culinaires de Beyrouth ou de Jérusalem. Nombre de nouveaux restaurants font le pari d’une cuisine levantine beaucoup plus moderne et retravaillée, se démarquant des adresses traditionnelles que la capitale française avait toujours tenues jusqu’ici. On a cherché à comprendre les raisons de ce récent succès. En tant que programmatrice du festival Taste of Paris, Mathilde Delville a l’habitude de repérer les restaurants qui ont la cote. Analyse.

Les restaurants libanais existent depuis longtemps à Paris. Les adresses israéliennes aussi. Cependant, les nouvelles ouvertures moins traditionnelles s’enchaînent, à l’image du succès des repères du chef Alan Geaam et de la galaxie culinaire du chef Assaf Granit. Comment analysez-vous ce phénomène ?

Mathilde Delville : Cela a démarré avec la première ouverture opérée en 2017 par le chef Assaf Granit, le restaurant Balagan. Le concept ultra-décomplexé et moderne de la cuisine levantine a d’emblée fait un carton ! Le chef est une star de la cuisine israélienne à Jérusalem et il réussit avec ses autres adresses comme Shabour et Tekés à nous embarquer dans une ambiance survoltée tout en servant des assiettes qui tiennent vraiment la route. De son côté, le chef Alan Geaam s’est emparé de ce succès de manière confidentielle au début, puisqu’il tenait d’abord une table gastronomique. Il réalisait une cuisine française sans assumer ses origines libanaises. Au moment du confinement, le chef s’est lancé sur ce créneau culinaire. Citons aussi les cuisines de Daya et Magniv. Il y a aussi un engouement pour le sucré, avec l’ouverture par exemple du glacier libanais Bältis.

Qu’est-ce qui plaît aux clients ?

Si l’on prend l’exemple de Tekés, on retrouve l’ambiance de Tel-Aviv. C’est la fête. On vient aussi pour cela. C’est la force des restaurants du chef Granit. Tout est chorégraphié. Le choix de la musique, on vous accueille de façon hyper avenante, la cheffe au comptoir fait le show, les plats sont annoncés à la brigade en hurlant. C’est un bazar organisé. C’est l’antithèse des tables étoilées et chiadées. Ici, on sait comment la soirée commence, mais pas la façon dont elle va se terminer. Et cela a pour effet de rendre la cuisine beaucoup plus attrayante.

Outre l’ambiance, quelle est la différence avec les restaurants plus traditionnels que l’on connaissait jusqu’ici ?

Ils se sont réapproprié des plats typiques en apportant une touche très moderne. Il existe un vrai travail de chef dans les assiettes pour sortir du traditionnel houmous et taboulé. Chez Kamal Mouzawak (Tawlet, Paris 11e), on mise sur un autre concept : un semainier présente chaque jour un plat de maman libanaise, comme une mère française présenterait son boeuf bourguignon ou sa blanquette.

Les nouveaux régimes alimentaires davantage portés par le végétarisme n’aide-t-il pas à la mise en valeur de ces cuisines méditerranéennes particulièrement axées sur le travail des légumes ?

Je ne dirais pas que cela les aide, mais que cela les soutient en effet. Le restaurant Tekés s’est complètement consacré à ce sujet culinaire par exemple. Mais, ce n’est pas pour autant la marque de fabrique de ces nouvelles adresses.

Au festival Taste of Paris, de quelle manière concrétisez-vous cette hype autour de la cuisine levantine ?

On a lancé différents axes pour illustrer ce succès. On a invité Balagan en 2018. On a accueilli Magniv et Kamal Mouzawak l’année dernière. Est-ce que nous traiterons ce phénomène en 2023 ? La question peut être posée, mais je n’en suis pas certaine, car nous avons déjà traité le sujet si je puis dire.