Par Cadfael

L’Europe aime les grands-messes coûteuses et inefficaces. On y a eu droit récemment à Porto.

On aime construire des socles

Le 7 et 8 mai se tenait à Porto une de ces grands-messes européennes coûteuses et inefficaces. Le sommet Européen réunissait 25 des 27 pays membres avec chefs d’état et toute l’intendance qui en fait partie. Le 7 mai était consacré au social et le 9 mai à une réunion informelle des chefs d’état et de gouvernement. Ce non évènement a été très peu suivi dans la presse européenne et se révèle symptomatique de l’éloignement des dirigeants européens d’une réalité autrement plus préoccupante que le vague rêve d’une Europe sociale. Mme Merkel n’était que virtuellement présente à cette réunion qui devait marquer le point culminant de la présidence portugaise du Conseil européen. Comme le spécifie diplomatiquement un communiqué du Conseil Européen, le but était de « renforcer leur engagement en faveur de la mise en œuvre du socle européen des droits sociaux. » On notera qu’au sommet de Göteborg il y a 4 ans, on avait déjà proclamé un « socle européen des droits sociaux », un ensemble de vingt principes.

Les grandes et belles phrases qui ont été lancées incluant des satisfecit réciproques, avec de belles photos des deux super-egos européens, Michel et Von der Leyen, ne parviennent pas à masquer un échec dans les faits. Le « courrier international » parle de cette mise en scène comme d’un sommet européen qui « n’aura de social que le nom » car pour beaucoup de citoyens européens le social de souche européenne ne se rencontre pas dans la réalité.

Un moment très mal choisi pour le Portugal

Même si l’opération de relations publiques sous-jacente était positive surtout pour les hôteliers de Porto, le Portugal se trouve empêtré dans des difficultés politiques et sociales solides. La brusque arrivée de de plusieurs centaines d’invités représentait une manne opportune et ce, sous conditions d’être payé dans des délais acceptables.

En premier lieu la « découverte » d’un cluster d’étrangers travaillant dans l’agriculture de l’Alentejo et vivant confinés, pour cause de Covid, dans des conditions plus que déplorables faisait tache dans le tableau harmonieux projeté par le gouvernement socialiste. La presse parle de 6000 individus déclarés et de 7000 en situation irrégulière, en majorité des Pakistanais, Indiens et autres malheureux. Pour les habitants de la région, parfaitement au courant, cette situation semble durer depuis une bonne dizaine d’années sans réactions notables de la part des autorités. D’après les médias, il semblerait qu’il y ait une collusion entre trafiquants d’êtres humains, propriétaires terriens et loueurs d’abris. Certaines sources n’hésitent pas à parler d’une mafia pakistanaise qui contrôlerait également tous les petits magasins de souvenirs tenus par des pakistanais qui pullulent à Lisbonne.

Le président de la République Marcello Rebelo Sousa, a dû prendre position. On le sait socialement très engagé. Il représente souvent la mauvaise conscience du premier ministre socialiste Costa.

Ensuite vient l’affaire Galp, groupe pétrolier portugais avec un bilan des plus bénéficiaires. Elle est symptomatique pour les dégâts causés par la COVID et les changements des marchés. Galp a fermé une raffinerie et licencié 150 salariés. Selon le Figaro et l’AFP, le groupe Galp est accusé par les syndicats de « profiter de la transition énergétique pour supprimer des emplois, réduire les salaires et retirer des droits ». Selon le site Argus spécialisé en matière de marchés énergétiques, le groupe pétrolier espère économiser ainsi 90 millions par an avec cette fermeture tout en gardant un certain nombre d’activités au port de Porto et en en transférant d’autres vers le port de Sines.

Le mal-être d’un gouvernement qui se dit social

Et ce n’est qu’un des nombreux casses têtes qui perdurent sans solution depuis des années. Ils mettent sérieusement à mal la coalition gouvernementale, composée du PC, de trotskistes mendéliens (et oui il y a encore) et de verts. Un sondage publié à l’occasion de la fête de la révolution du 24 avril par le très sérieux hebdomadaire « Expresso » révélait, il y a quelques semaines de cela, que seulement 10% des portugais croyaient vivre en « pleine démocratie » et que 40% voient de gros problèmes dans son fonctionnement.

Le coté visible de ce malaise profond dans la société portugaise a été, au moment du sommet, la manifestation qui réunissait plus de 3000 personnes de tout le pays selon des sources policières. Chômage, précarité, accès inégalitaire à la formation, privatisations dans des conditions parfois discutables, cassent l’image de la coalition gouvernementale.

Viennent s’y rajouter le manque de personnel médical, un corps enseignant chroniquement sous payé, un accès inégalitaire à l’éducation, une crise du logement abordable suite aux dérapages immobilières des plus destructifs, les petits commerces et restaurants en précarité absolue etc…ce qui fait le bonheur d’une extrême droite en croissance. 

Et ce ne sont que quelques-uns des problèmes auxquels le pays est confronté. En cela le Portugal est à l’image de beaucoup de pays du cône sud de l’Europe.

Les résultats du sommet ?

Un communiqué du Conseil les résume avec des objectifs à atteindre pour 2030 : un taux d’emploi d’au moins 78 % au sein de l’Union européenne, une participation d’au moins 60 % des adultes à des actions de formation chaque année, une réduction du nombre de personnes menacées d’exclusion sociale ou de pauvreté d’au moins 15 millions, dont 5 millions d’enfants. »

C’est beau et touchant et cela n’engage à pas grand-chose.

Des clivages importants se sont manifestés en ce qui concerne l’harmonisation des salaires minimum ou certains pays sont contre par crainte d´un dumping social. Selon France Info « les pays du nord, sont attachés à leur modèle performant de négociation collective, et ceux de l’est, qui craignent de perdre leur compétitivité, s’y opposent fermement. » Comme le résume le « Handelsblatt » allemand du 8 mai dernier : « vers la fin du sommet 11 pays ont fait remarquer que la politique sociale n’était pas du ressort de l’Union européenne ». Rideau.