Reconnu comme un architecte du goût, Pierre Hermé a transformé l’art de la pâtisserie avec une créativité inégalée et un sens aigu du détail. Inspiré par l’art, les voyages et les rencontres enrichissantes, il innove sans cesse en explorant de nouvelles saveurs et textures, procurant ainsi une expérience sensorielle unique à ses créations. Issu d’une lignée de boulangers-pâtissiers alsaciens, Pierre Hermé a débuté sa carrière dès l’âge de 14 ans sous l’égide de Gaston Lenôtre, avant de laisser son empreinte chez des institutions telles que Fauchon et Ladurée. En fondant la Maison Pierre Hermé Paris en 1998, il établit les fondations de ce que l’on nommera plus tard la “Haute-Pâtisserie”, un concept qui révolutionne le monde culinaire à l’instar de la haute couture.

Par Maria Pietrangeli

Est-ce que vous pouvez me parler de votre parcours, de ce qui vous a initialement attiré vers la pâtisserie ?

Je suis né dans une pâtisserie, je suis la 4e génération à faire ce métier. Tout naturellement je crois que c’est mon père qui m’a donné envie de faire ce métier par la manière dont il pratiquait, la manière dont il était heureux dans son activité, c’est vraiment ce qui m’a donné envie de faire ce métier.

Quelles sont vos plus grandes sources d’inspirations dans la création de nouvelles collections ? de nouvelles recettes ?

Les sources d’inspiration sont multiples car elle peut surgir d’un seul ingrédient ou de plusieurs, d’une conversation, d’une image, d’une lecture, ou même d’une visite de musée. Hier, par exemple, j’ai visité le musée d’art contemporain Moco à Amsterdam, où j’ai trouvé une idée pour décorer nos vitrines de macarons ; les idées peuvent vraiment varier.

Comment décririez-vous votre philosophie en matière de création pâtissière ? Comment cette philosophie a-t-elle évolué au fil du temps ?

Ma méthode de travail a toujours été la même : la priorité est donnée au goût, puis à l’architecture de ce goût, et enfin à ce que j’appelle le scénario du goût, qui en est l’expression. J’ai principalement deux approches : la première consiste à sublimer un ingrédient, ce que je nomme les ‘infiniment’ – infiniment vanille, infiniment noisette, infiniment pistache. Bien sûr, il s’agit de ma propre interprétation, qui n’est en aucun cas une règle absolue, mais plutôt mon interprétation du goût de chaque élément poussé à son paroxysme. Ensuite, il y a les combinaisons de saveurs que j’ai créées, parmi lesquelles les plus connues sont Ispahan, Mogador, Celeste, Satine… Ces combinaisons peuvent se présenter sous la forme de gâteaux, de macarons, de cakes, ou de glaces, et il n’y a pas de règles strictes pour leur création. Je réinterprète ensuite ces combinaisons dans différentes familles de produits. Par exemple, Ispahan existe en pas moins de 90 recettes autour de l’association de saveurs rose, litchi, framboise. Souvent, on me parle de déclinaisons, mais il ne s’agit jamais de simples déclinaisons car chaque recette nécessite une réinterprétation différente de l’accord de saveurs. Prenons l’exemple du croissant Ispahan : il contient toujours de la rose, du litchi et de la framboise, mais d’une manière différente du gâteau d’origine. Quand cette combinaison est réinterprétée dans un cake, c’est encore une autre façon d’articuler les ingrédients. Cela illustre une autre facette de notre travail qui consiste à créer des associations de saveurs uniques à notre maison. Parfois, il s’agit simplement de réinterpréter des saveurs classiques à ma manière.

Comment approchez- vous l’équilibre entre le goût, l’esthétique et la texture ?

Pour moi, la priorité est toujours donnée au goût, au scénario du goût. Ensuite, j’essaie de mettre en valeur le produit de la manière la plus simple possible, sans artifices superflus, en utilisant le minimum d’éléments inutiles.

Comment restez-vous à la pointe de l’innovation dans le domaine de la pâtisserie ? Y -a-t-il des tendances actuelles qui vous passionnent ?

J’avance en permanence, je crée continuellement des goûts, des recettes, des produits. Je ne cherche pas à rester dans la tendance, mais plutôt à progresser et à améliorer notre offre de produits au quotidien. Quant à suivre la tendance, cela ne m’intéresse pas ; ce n’est pas mon objectif. Les tendances deviennent très vite obsolètes, et elles ne captent pas mon attention.

Pierre Hermé est une marque reconnue mondialement, quels sont défis et les opportunités liés à la gestion et à l’expansion d’une marque de luxe dans l’industrie de la pâtisserie ?

Pour moi, il est très important de préserver le savoir-faire, de le faire évoluer et de le partager autant que possible avec le plus grand nombre de chefs au sein de notre maison. Ce savoir-faire est au cœur de notre métier et de notre entreprise, que ce soit dans le domaine de la pâtisserie, de la vente, ou dans la manière dont nous présentons et mettons en valeur nos produits. Je contrôle cela à 100 %. L’enjeu pour une marque en développement est de conserver, développer et transmettre ce savoir-faire. Nous sommes dans des métiers d’artisanat où la transmission est essentielle. À mesure que l’entreprise se développe, il est crucial de la structurer, de l’organiser et de prévoir les outils nécessaires à cette transmission.

Avez -vous des projets d’expansion internationale, en dehors du Luxembourg ?

Nous avons ouvert en début d’année l’Hôtel Riyadh au Kingdom Centre, une boutique et un salon de thé. Nous prévoyons également d’inaugurer deux ou trois boutiques à Taïwan cette année, ainsi qu’à Singapour, Dubaï et Abu Dhabi aux Émirats Arabes Unis.

Pourriez-vous partager avec nous une expérience marquante de votre carrière ?

Il y en a beaucoup. Un événement marquant pour moi a été l’ouverture de notre première boutique sous l’enseigne Pierre Hermé, qui se trouvait à Tokyo, dans l’hôtel New Otani. Cette boutique, qui existe toujours, a été rénovée l’année dernière. Pour nous, elle représente quelque chose de très précieux.

Avez -vous rencontré des échecs qui se sont révélés être des leçons précieuses ? Comment ces échecs ont-ils contribué à votre succès actuel ?

Ah oui, il y a souvent des échecs. Lorsque nous avons ouvert à Paris, je me suis associé avec deux personnes, mais cela n’a pas fonctionné et nous avons dû déposer le bilan. Ensuite, nous avons poursuivi l’activité et il a fallu rembourser tout le monde. Dans ces situations, on apprend beaucoup.

En dehors de la pâtisserie, quelles sont les activités qui vous permettent de vous ressourcer ?

Je m’intéresse à de nombreuses choses, notamment à l’univers du parfum, du vin, à l’art contemporain, la sculpture, la peinture et l’architecture. Ce sont autant de sources intéressantes qui m’enrichissent et me divertissent, et qui, évidemment, me permettent de sortir de mon quotidien.

Comment équilibrez-vous les exigences d’une carrière aussi exigeante avec votre vie personnelle ?

Jusqu’à présent, cela a bien fonctionné.

Quels sont vos rêves et vos aspirations pour l’avenir ?

Tout à l’heure, je vous parlais de la transmission, qui est un aspect très important dans nos métiers. L’idée serait d’ouvrir une école de formation pour les professionnels de la pâtisserie. C’est un projet sur lequel nous travaillons actuellement.

Quels ont été les plus grands défis que vous avez rencontrés lors de la préparation de l’ouverture de la boutique de Luxembourg? Comment les avez-vous surmontés ?

L’espace est à la fois haut et grand. Nous avons dû légèrement repenser nos modèles de boutiques pour nous adapter à l’espace où nous allons installer la nouvelle boutique. Ainsi, avec quelques aménagements et l’ajout de vitrines, nous avons pu concevoir quelque chose qui correspond parfaitement à l’espace.

Voyez-vous l’ouverture de cette boutique à Luxembourg comme une opportunité de toucher un nouveau public ou de tester de nouveaux concepts ?

Pour ma part, j’ai vécu au Luxembourg pendant un an et j’ai une certaine connaissance du pays. Les Luxembourgeois sont très friands de pâtisserie, comme en témoigne le nombre de pâtisseries présentes et le succès de la maison Oberweiss, qui sont des amis. Je pense qu’il pourrait y avoir une place pour nous dans ce paysage, avec une clientèle aussi passionnée de pâtisserie.

Quelle expérience souhaitez-vous offrir à vos clients dans cette nouvelle boutique ? Y aura-t-il des exclusivités proposées uniquement au Luxembourg ?

Pour l’instant, nous avons installé une boutique telle que nous le faisons à Paris ou ailleurs. Et puis par la suite il y aura forcément des produits qui correspondent aux goûts des luxembourgeois. Il n’y aura pas d’exclusivités au début, mais il est fort probable qu’à terme nous offrons des exclusivités.

La maison Oberweiss a fêté ses 60 ans, avez-vous un souvenir à partager avec vos amis ?

Je sais que Monique et Pit ont commencé avec une très petite boutique, ce qui est formidable. J’ai beaucoup d’admiration pour ce qu’ils ont accompli et pour ce qu’ils ont transmis à leurs enfants et maintenant à leurs petits-enfants. Pit Oberweiss m’a raconté une histoire intéressante : c’est un Luxembourgeois, Camille Studer, qui a inventé le macaron sous sa forme actuelle. J’ai également eu l’occasion de parler avec M. Studer, c’est incroyable. À Zurich, cela ne s’appelle pas des macarons, mais des luxemburgerli.

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